L’étude comparative sur les clubs de Premier League réalisée par Audencia, sur une période de cinq ans, apporte des résultats étonnants. En Angleterre, la dette ferait le bonheur et l'accroissement des revenus ne sert en aucune manière à l'assainissement financier. Explications avec Christophe Germain, directeur adjoint de l’école, fondateur du Centre de recherche sur le football.

 

Décideurs. Quel est le principal bilan de l’étude portant sur les performances financières et sportives des clubs anglais ?

Christophe Germain. Notre étude montre que si les grands clubs ont de bons résultats économiques – la différence entre leur chiffre d’affaires et les coûts qu’ils supportent est largement positive –, cela ne se traduit pas par une amélioration de leur situation financière. La plupart des équipes de haut de classement en termes sportifs sont celles qui réalisent le plus de bénéfices, mais sont aussi celles qui ont la moins bonne gestion de leurs finances. Le cas extrême est celui de Chelsea qui a des capitaux permanents négatifs. Pour une entreprise classique, cela aurait entraîné sa faillite depuis longtemps. Son propriétaire Roman Abramovitch, un riche homme d’affaires russe, n’a pas hésité à réinvestir de l’argent dans le club chaque année pour combler les déficits.

Comment expliquer un tel engagement ?

Il y a deux facteurs principaux. Le premier est l’optimisation fiscale qui reste au cœur de la stratégie financière des propriétaires de grands clubs. Roman Abramovitch avait d’ailleurs été accusé par le gouvernement russe d’avoir investi dans Chelsea, via une holding, des fonds de sa compagnie pétrolière destinés au paiement de l’impôt. Le deuxième est que le monde du football possède un environnement totalement irrationnel. Dans la mesure où du jour au lendemain un propriétaire richissime peut venir renflouer le capital ou racheter le club, les banquiers et les financiers tablent sur le fait que sa valeur n’est pas reflétée par ses performances financières. Ils évaluent en premier lieu l’image de marque du club et ses perspectives économiques : vente de maillots, produits dérivés, abonnements au stade…

Puisque d’après votre étude les « petits clubs » (WBA, Swansea…) sont ceux qui gèrent le mieux leurs finances, pouvons-nous nous attendre à ce que l’investissement finisse par se tourner vers eux ?

Pas du tout. Ces clubs-là sont à leur asymptote. Leur gestion financière est développée pour un certain standard, et cela les bloque sur le plan sportif. Leur modèle est soutenable, mais compte-tenu de celui-ci, ils ne peuvent pas concurrencer les grosses écuries. La politique inflationniste des transferts et des salaires des joueurs leur interdit de jouer dans la cour des grands. On assiste à une rupture entre le Big Six et le reste du classement. Le seul club qui est à deux doigts d’un modèle à la fois soutenable et vertueux, c’est Arsenal. Il ne s’est pas lancé dans une quête de joueurs à des prix et des rémunérations démesurés. Mais en contrepartie, le club n’a pas gagné de championnat depuis 2004. Il reste toutefois le seul club qui se positionne bien sur le haut des trois tableaux : sportif, économique et financier.

Quelles conséquences cela a-t-il sur la géographie des clubs ?

Si vous comparez la carte géographique des clubs de football en Angleterre aujourd’hui à celle qui existait il y a à peu près trente ans, vous remarquez que les principaux clubs sont dans les grandes villes. La géographie du football a totalement changé. Des grands clubs ont disparu de la Premier League, comme Nottingham Forest, Leeds United ou Ipswich Town qui étaient des clubs phares des villes de province. On retrouve également ce phénomène dans le rugby en France. Des clubs historiques comme Dax ou Lourdes ont disparu du Top 14 et ils n’y reviendront plus jamais.

« Une véritable fuite en avant financière »

L’explosion des droits TV anglais a-t-elle profité aux clubs ?

Non, pas du tout ! Malgré une hausse sans précédent l’année dernière, le résultat économique des clubs de Premier League dans leur globalité est déficitaire sur la saison 2016-17. C’est une véritable fuite en avant inflationniste : à partir du moment où les clubs disposent d’une manne financière plus importante, ils l’utilisent pour acheter de nouveaux joueurs et augmenter les salaires pour gagner en compétitivité. Ils ne s’en servent jamais pour assainir les finances du club. Cela interroge sur la soutenabilité du modèle économique.

Ce sport souffre-t-il d’un manque de régulation ?

Oui. Il y a une seule façon de réguler le football aujourd’hui, c’est en limitant le montant des transferts et des salaires. En France, il existe une instance de régulation, la DNCG [Direction nationale du contrôle de gestion], dont les autres pays ne disposent pas. Son rôle est de suivre la gestion des clubs de football français, et de s’assurer de leur solvabilité financière, le tout avec un pouvoir disciplinaire. Cela veut dire qu’il y a un contrôle des comptes, et les clubs ne peuvent pas faire n’importe quoi comme en Espagne par exemple, où des clubs comme le Real Madrid ou le FC Barcelone ont une dette inimaginable.

Les clubs de Ligue 1 peuvent-ils s’inspirer de ce qui se passe outre-Manche ?

C’est difficile de rattraper le retard. Le modèle proposé en Angleterre est très différent de celui développé en France. Le football anglais a un rayonnement à l’international qui est immense. La Premier League est le troisième championnat de sport suivi à travers le monde, après la Major League de Baseball et la National Football League aux États-Unis. En Chine, les matchs de Premier League sont plus visionnés que ceux du championnat national. La France ne dispose pas de la même notoriété en dehors de ses frontières, ce qui complique l’arrivée de gros investisseurs. Il y a néanmoins des clubs qui sont sur la bonne voie. L’Olympique lyonnais par exemple a un modèle qui est vertueux et qui peut aller vers la voie développée par la Premier League.

Pensez-vous que créer des ligues fermées comme aux États-Unis (NBA, NFL, NHL) enverrait un signal positif ?

On en parle tous les ans comme une piste à étudier pour assainir le football et le rendre moins risqué. Les grands clubs voudraient créer cette élite. Dans le Top 14, les clubs plaident aussi pour cela. C’est un véritable serpent de mer, mais il ne se mettra pas en place. Les fédérations et les ligues de football n’y sont vraisemblablement pas favorables. La ligue fermée est un élément qui est intéressant à étudier, mais pas à transposer je pense. Ce n’est pas dans la culture européenne. Instaurer cela engendrerait un recentrage de l’activité vers les grandes villes encore plus important.

 

Propos recueillis par Augustin Robert.

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