À en croire les cabinets de conseils et les experts du digital, l'intelligence artificielle est partout. Pourtant, les filières commencent à peine à s'organiser et les potentialités de cette technologie demeurent largement fantasmées. Au-delà des illusions, quels sont les enjeux stratégiques liés à cette nouvelle forme d'apprentissage de la machine sans intervention extérieur ?

L’arrivée imminente des voitures autonomes, la prolifération des assistants personnels ou encore les premiers diagnostics de machines médicales : toutes ces innovations sont célébrées comme autant de prouesses dues à l’intelligence artificielle (IA). Abondamment reprise dans les médias et dans les conférences, l’expression évoque en creux une égalité inédite entre l’homme et sa création, le programme informatique. Mieux, la victoire d’AlphaGo (développé par Google DeepMind) sur le numéro trois mondial du jeu de Go en mars 2016 a marqué une bascule en faveur de la machine qui domine désormais l’homme jusque dans les jeux les plus complexes.

 

Depuis plusieurs dizaines d’années, les capacités de stockage, de traitements statistiques et de vitesse de calcul sont supérieures chez la machine. Rien de nouveau sous le Soleil. Le regain d’engouement constaté ces derniers mois sur les potentialités de l’intelligence artificielle outrepasse ces premiers champs de compétition. Cette révolution est liée au machine learning, la nouvelle fonctionnalité permettant aux algorithmes d’apprendre par eux-mêmes en ingérant d’immenses quantités d’informations. Les essais et les erreurs sont alors sources d’enseignements nouveaux pour le super-ordinateur qui n’est plus préprogrammé pour accomplir une seule tâche délimitée comme c’était le cas par le passé. Les puissances de calcul progressent, les données analysées se complexifient et en conséquence les tâches accomplies varient de plus en plus. Tous les ingrédients sont réunis pour que la science-fiction rencontre la réalité, et ce qui devait arriver arriva. En janvier 2017, la société d'assurance-vie Fukoku Mutual Insurance a décidé de remplacer 25 % des effectifs de l’un de ses départements par un système d’IA, l’IBM Watson Explorer.

 

11,1 milliards de dollars : c’est le montant que devrait atteindre le marché de l’IA d’ici à 2024 (contre 200 millions en 2015). Source : Tractica.

 

Toutefois, il convient de rappeler avec Robb Gaynor, cofondateur de l’éditeur de logiciel Malauzai que « l’intelligence artificielle n’existe pas ». Du moins pour le moment. Les milliards de connexions établies entre les neurones naturels ne peuvent toujours pas être imités et le cerveau humain demeure une énigme irrésolue. Comme l’écrit l’universitaire Antoine Billot dans Libération : « Pour l’heure, il n’existe pas une intelligence synthétique de la machine mais une palette de compétences susceptibles d’être mises chacune, séquentiellement, en concurrence avec la compétence équivalente chez l’homme. » Au-delà de l’abus de langage, il convient encore d’écarter les illusions enivrantes. Surestimer les possibilités offertes par les algorithmes est le plus sûr moyen de mal évaluer les enjeux qui devront être traités par les hommes en place.

 

C’est notamment le cas dans l’univers financier. Bâti sur des données chiffrées et dématérialisées, l’ingénierie financière semble être le terrain de jeu idéal pour l’intelligence artificielle. L’enthousiasme des optimistes se heurte pourtant aux observations désabusées de certains experts comme Joe Lonsdale, cofondateur de Palantir Technologies et spécialiste américain du big data interviewé par CB Insights. « Avant que l’IA ne puisse aborder les problèmes les plus compliqués de la finance, cela prendra des années, voire des décennies […]. »

 

+ 40 % : ce sont les gains de productivité mondiale promis par l’IA d’ici à 2035. Source : Accenture.

 

Certaines déconvenues ont aussi porté un sérieux coup à ceux qui espéraient assister à l’émergence prochaine d’une technologie sans faille. La marque de fast-food Burger King s’est notamment jouée des commandes vocales de l’assistant Google Home dans un spot télévisé, diffusé en avril 2017. L’acteur de la publicité énonce distinctement la phrase « Ok Google, qu’est-ce qu’un Whooper ? », ce qui déclenche automatiquement une recherche Internet par Google Home et la lecture de l’article Wikipédia décrivant les mérites du sandwich phare de l’enseigne. Autre exemple des imperfections subsistantes de l’intelligence artificielle, le compte Twitter Tay lancé par Microsoft en 2016. Mimant les réactions d’une adolescente sur le réseau social, cet IA devait apprendre de ses interactions avec les autres utilisateurs. En quelques heures, le programme alimenté par des internautes mal intentionnés, publie des messages racistes et négationnistes. « J’aime le terme de bêtise artificielle. Vous mettez n’importe quelles données pour carburant, et vous allez créer un système très désagréable. » Chercheuse au Limsi-CNRS, Laurence Devillers mettait en garde le Sénat français en janvier 2017 contre la reproduction de schémas de pensées nuisibles par les machines. Les réflexions et les jugements de celles-ci peuvent encore s’affiner, jusqu’à pouvoir créer un jour peut-être, une machine libérée des vices de l’humanité.

 

Thomas Bastin
@ThomasBastin

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