Loïc Voisin (Suez) : « Résoudre les problèmes de la ville moderne à l’aide des données »
Décideurs. Quels sont les grands enjeux auxquels doit faire face Suez ?
Loïc Voisin. Le premier concerne la protection et l’optimisation des ressources naturelles. Nous vivons dans un monde où la pression démographique est sans précédent. Nous sommes actuellement plus de sept milliards d’habitants sur la planète et serons neuf milliards en 2030. Aujourd’hui, plus de 50 % de la population mondiale vit dans des zones urbaines et elle devrait atteindre 70 % dès 2030. Ces chiffres illustrent bien la forte pression qui existe sur les ressources telles que l’eau, l’énergie et les matières premières. Notre deuxième grand enjeu vise la lutte contre le réchauffement climatique qui a des conséquences directes sur les ressources et les personnes. Près de la moitié de la population mondiale vit à proximité des littoraux. Il est donc essentiel d’anticiper et de se préparer à des phénomènes de montée des eaux et d’inondations de plus en plus fréquents. Enfin, le renforcement des réglementations dans le monde constitue un enjeu important. Elles se renforcent et conduisent à une meilleure préservation des ressources.
L’innovation et la recherche sont des éléments clés de la stratégie du groupe. Quelles sont vos initiatives concrètes en la matière ?
Nous avons développé de nombreuses solutions pour répondre aux défis de la ville. L’exemple le plus significatif concerne les solutions digitales Aquadvanced® développées pour la gestion des réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement. Nous avons mis en place des capteurs au sein de ces réseaux. Les données recueillies et traitées permettent de modéliser ces derniers et d’optimiser leur management en temps réel. Dans les pays développés, près de 20 % de l’eau potable produite est perdue avant de parvenir aux consommateurs à cause de la vétusté des installations. Grâce à cette solution intelligente, nous détectons rapidement les fuites et intervenons efficacement pour régler les anomalies.
« Il est urgent d’agir pour l’environnement »
Suez soutient activement les start-up, notamment par le biais de Suez Ventures. Quelles sont les innovations phares détectées par ce fonds d’investissement et comment s’intègrent-elles à votre organisation ?
Nous travaillons avec plus de 120 partenaires à travers le monde, allant des universités aux grands groupes industriels en passant par les incubateurs et les start-up. Nous avons notamment aidé la jeune pousse SigrenEa à développer une technologie de collecte intelligente des déchets qui consiste à installer des puces dans les points d’apport volontaire de déchets recyclables afin de contrôler à distance et en quasi-temps réel leur niveau de remplissage. Cette solution permet d’en optimiser la gestion et la relève par les services de collecte. Nous continuons aujourd’hui à promouvoir son développement.
Nous participons également au programme d’innovation ouverte Data City, organisé par l’incubateur Numa avec la ville de Paris, l’État et des entreprises du secteur privé, qui vise à relever les défis de la ville de demain à l’aide des données en transformant la capitale en un grand terrain de jeu. Nous avons ainsi développé une application avec la start-up Craft.ai qui nous permet de réduire de 46% la présence des bennes de collecte de déchets dans les rues.
Quels sont les domaines d’activité pour lesquels l’émergence d’innovation vous semble le plus urgent ?
Il est urgent d’agir pour l’environnement, au sens le plus noble et le plus large du terme. Les pressions qui pèsent sur la ressource en eau sont de plus en plus fortes chaque année. On produit également à l’échelle de la planète des déchets toujours plus nombreux et il est ainsi impératif d’arriver à les valoriser et à les recycler. Les enjeux liés à la ville représentent un autre défi à relever, la population urbaine augmentant constamment.
« L’idée est de parvenir à relever les défis environnementaux et de les transformer en outil de performance économique »
Quels éléments peuvent selon vous venir freiner la course à l’innovation des grands groupes comme Suez ?
Je n’en vois aucun. Les enjeux auxquels nous devons faire face sont présents et urgents. Cela fait 150 ans que le groupe travaille sur l’innovation. Au départ par exemple, il s’agissait de l’hygiénisation des réseaux d’eau. Nous nous sentons très armés grâce à notre savoir-faire pour apporter des solutions efficaces. Le fait que la réglementation soit de plus en plus exigeante renforce nos contraintes et nous pousse à être toujours plus innovants, ce qui représente un challenge exigeant.
Nous avons développé une organisation en interne nous permettant d’être agiles et ouverts sur l’extérieur pour travailler à la fois avec des partenaires académiques, des laboratoires de recherche de grandes universités et des clients industriels. Nous avons 400 chercheurs qui travaillent sur la partie R&D et innovation partout dans le monde, dans six centres de recherche (deux en France, un en Espagne, un à Shanghai, un à Singapour et un aux États-Unis). Notre véritable force est notre capacité à travailler en réseau, qu’il soit externe avec nos partenaires ou interne grâce aux talents que nous savons dénicher. Il s’agit de rester suffisamment connecté au monde pour demeurer à l’avant-garde et proposer ce qui se fait de mieux dans notre secteur. Nous avons par exemple récemment signé un accord avec Sanofi. L’idée est de parvenir à relever les défis environnementaux qui se posent au groupe industriel et de les transformer en outil de performance économique. C’est une démarche très novatrice.
Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali