Temps fort de la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a créé la sensation grâce à un hologramme plus vrai que nature au centre d’une scène parisienne, calquée sur ses mouvements alors qu’il se trouvait lui-même à Lyon. Concepteur de ce coup de com', Sébastien Mizermont a reçu dans son studio Décideurs Magazine afin de décrire les potentialités de sa technologie, bien au-delà de la sphère politique.

Décideurs. Votre technologie a été mise en lumière lors du meeting de Jean-Luc Mélenchon début février. Vous attendiez-vous à un tel succès médiatique pour votre hologramme ?

Sébastien Mizermont. Cette opération était une première mondiale. Jamais auparavant un homme politique ne s’adressait à une foule rassemblée dans une ville en étant également présent dans une salle à des centaines de kilomètres de là, grâce à un hologramme diffusé en direct. Nous savions que le projet était ambitieux et qu’il susciterait beaucoup d’attention. L’écho de cette mise en scène a été mondial, égalant l’intérêt créé par l’hologramme de Michael Jackson diffusé aux Billboard Music Awards en 2014. Nous ne pensions pas que le buzz serait aussi important mais nous étions ravis du résultat.   

 

Quelles ont été les difficultés à surmonter afin d’assurer un résultat de qualité ?

Entre notre première prise de contact et le meeting, trois semaines se sont écoulées. C’est allé très vite mais, après une bonne captation 3D, nous avons pu avancer à vive allure. Pour garantir la réussite de ce projet, notre objectif était clair : zéro défaut. Nous avons construit un cahier des charges de la production extrêmement précis tout en doublant chaque élément de la chaîne technique : deux camions satellites au lieu d’un, deux projecteurs au lieu d’un… Nous ne voulions prendre aucun risque pour séduire le grand public et relayer un message fort.

 

Plusieurs semaines après cette réussite, votre carnet de commandes s’est-il étoffé ?

Cette opération a été un véritable succès et le coup de com’ de Mélenchon a pu aussi nous profiter. Certains grands groupes ont découvert nos activités à cette occasion et sont entrés en contact avec nous pour identifier les partenariats que nous pourrions nouer ensemble. C’est le cas de Total ou de la Société générale qui souhaiteraient bénéficier de notre technologie pour leurs démonstrations lors de conventions d’entreprise. La SNCF, avec qui nous avions déjà travaillé par le passé pour présenter son nouveau siège au Palais de Tokyo, est revenue toquer à notre porte afin de construire de nouveaux projets autour de l’hologramme. Par ailleurs, immédiatement après l’opération de Mélenchon, nous nous sommes concentrés sur un projet élaboré avec RTE (Réseau de transport d’électricité) afin de présenter de manière dynamique et interactive leurs nouvelles technologies. Il faut tout de même préciser que notre notoriété était déjà assez établie dans cet univers, avant même le meeting de Mélenchon. Notre collaboration avec Stromae avait créé un certain buzz, tout comme la direction artistique et la scénographie du spectacle de Renaud, où les projections des rues de Paris ont été saluées par la critique.

 

Le coût de cette opération a été fixé entre 50 000 et 100 000 euros. Comment est établi le prix d’un tel dispositif ?

Nous exploitons une licence de brevets délivrée par la société britannique Lusion. L’utilisation d’un film incliné à quarante-cinq degrés où vient se réfléchir l’image projetée au sol a donc déjà un coût en soi. Ensuite, le prix global varie en fonction de la durée du projet, de la scénographie sélectionnée, de la mise en place du matériel technique au centimètre près et de la post-production. Selon le niveau de sophistication retenu, les budgets alloués à nos projets oscillent entre 25 000 et 300 000 euros. En 2014, l’hologramme de Michael Jackson avait coûté la bagatelle de 900 000 dollars… Les processus s’assimilent à ceux du cinéma, or nous n’avons pas les mêmes moyens financiers que cette industrie. Nous parvenons malgré tout à trouver des solutions, en respectant les vœux de nos clients.

 

L’holographie en est encore à ses balbutiements, malgré de spectaculaires progrès. Quels sont aujourd’hui les débouchés de cette technologie ?

Les potentialités offertes attirent des milieux très variés. Le monde du spectacle s’est emparé en premier de ce nouvel outil, tout comme les experts de la muséographie qui s’y intéressent de près. Nous travaillons ainsi avec Francis Veber pour sa pièce « Un animal de compagnie », jouée au Théâtre des nouveautés. L’hologramme du poisson rouge, personnage principal du spectacle, est le plus petit jamais réalisé par le studio, avec quarante centimètres de long et de haut. À l’inverse, pour l’inauguration du tramway de Dubaï, nous avons conçu le plus grand hologramme du monde (cinquante mètres de long sur huit de haut).  À l’échelle 1/1, un wagon pouvait être mis en avant pour souligner les avantages de la nouvelle rame destinée au marché local. Tout au long de l’année, les industriels peuvent présenter leurs nouveaux modèles et leurs innovations dans des showrooms ultra-modernes. C’est ce que nous réalisons avec Nexter, groupe industriel d’armement appartenant à l’État français, pour emmener leurs visiteurs dans un nouvel univers où le message est diffusé comme par magie. Des actions de promotion et même de formation peuvent aussi être mises en place.

 

Et demain, quels seront les secteurs susceptibles d’utiliser un hologramme pour améliorer leurs services ?

Les hommes politiques s’en servent en meeting, les services RH s’appuient dessus pour accélérer leurs programmes de formation, les conventions des entreprises les mettent en scène et dégagent une image moderne et dynamique… L’holographie dispose d’un incroyable pouvoir de communication et d’échanges et peut être complémentaire des casques de réalité virtuelle dans sa palette d’outils. Nombreux sont les acteurs pouvant tirer le meilleur de cette technologie. Le système technique que nous utilisons peut encore fonctionner pendant dix ans au maximum car les innovations dans le domaine se succèdent. Des supports de projection à la qualité des vidéoprojecteurs sans oublier les hologrammes 3D et les interactions entre hologramme et monde réel : tout évolue. L’un de nos prochains objectifs est de développer l’affichage holographique dans le métro en lieu et place des écrans LED 4:3 qui agressent les yeux des passants.

 

Quels éléments freinent la démocratisation des hologrammes que vous concevez aujourd’hui ?

L’hologramme coûte encore assez cher. Les prix pratiqués dans le secteur peuvent décourager certains acteurs aux budgets restreints. Le temps nécessaire pour mener à bien des projets holographiques ne peut pas être compressé. Il est indispensable d’échanger avec nos futurs clients pour bien comprendre la nature de leurs besoins et les orienter vers la technologie la plus pertinente. Ensuite, entre les réglages, les répétions, les tournages et la post production, chaque étape est décisive et ne peut être bâclée. Par ailleurs, cette technologie a ses propres règles. Lorsque nous devons travailler avec des freelances sur certains projets d’envergure, nous sélectionnons les personnes avec qui nous avons déjà travaillé ou qui connaissent intimement les spécificités de l’hologramme. Le manque de compétences techniques peut ainsi constituer un autre obstacle à une plus large diffusion de cette technologie de pointe.

 

Propos recueillis par @Thomas Bastin

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