Pape François : l'homme d'exception
Alors que la plupart de nos hommes politiques peinent à rassembler dans leurs propres rangs, lui voit son audience s’étendre bien au-delà de son public d’origine. Alors que leur message est jugé au mieux inaudible, au pire peu crédible, le sien suscite l’adhésion chez une majorité de citoyens. Le pape François serait-il meilleur communicant que nos professionnels de la chose publique ? À en croire son niveau de popularité, la réponse est oui, sans aucun doute. Et difficile, trois ans après son élection, de cantonner le phénomène à un simple effet de contraste avec son prédécesseur Benoit XVI, d’allure aussi austère et distanciée que lui apparaît charismatique et empathique. Pour beaucoup, les raisons de la popularité du chef des croyants sont ailleurs ; dans la force d’une personnalité à contre-courant du brouhaha médiatique et des postures politiques d’abord ; dans les faiblesses d’une époque en mal de repères ensuite.
Société carencée
Une époque plus réceptive que jamais aux discours fondés sur les valeurs depuis que celles-ci ont déserté la sphère publique, les politiques censés les incarner les ayant relayées au rang d’arguments de campagne.
De quoi favoriser l’émergence d’une société carencée et créer un véritable boulevard pour quelqu’un qui, comme le Pape François, « parle non seulement de valeurs mais de valeurs universelles», souligne Vincent Leclabart, fondateur de l’agence de publicité Australie, pour qui cette spécificité constitue l’atout essentiel d’un message qu’elle rend « accessible à tous ». Et d’autant plus facile à relayer qu’il est porté par une parole en complet décalage avec les tonalités habituelles : libérée et directe. Apte à séduire un auditoire parvenu à saturation d’éléments de langage et de postures de communication, mais aussi à bousculer quelques rigidités internes. « Le pape a un franc-parler qu’il exerce pour faire bouger les lignes et dépoussiérer l’institution tout en respectant les fondamentaux et les interdits qui les accompagnent : procréation assistée, mariage homosexuel… », explique Vincent Leclabart. Résultat : il offre à la fois une constance dans les repères et une ouverture dans l’approche. Idéal pour conquérir une nouvelle audience sans porter atteinte à son cœur de cible.
« Dans une société hyper bruyante, tonitruante même, il impose le silence et donc l’écoute, celle de Dieu pour les croyants, celle des autres pour tous »
Stratégie de rupture
Autre élément clé de la popularité du pape : la cohérence. Un atout d’autant plus remarqué chez lui qu’il est absent chez les autres. Pour Denis Gancel, président de l’agence W.&cie, l’effet de contraste est, là encore, déterminant. « Son pouvoir d’influence tient au fait qu’il a su recoller le geste à la parole, explique-t-il. Déployer une action en accord avec son discours. » Il ne se contente pas de parler de pauvreté, il quitte les appartements papaux pour l’hôtellerie Sainte-Marthes. Il ne dénonce pas seulement le train de vie d’une certaine élite religieuse, il crée une commission d’experts pour y mettre un terme… Une démarche de rupture qui frappe les consciences dès les premières secondes de son pontificat lorsque, à peine élu, il s’adresse à la foule en demandant à chacun de prier en silence. « Dans une société hyper bruyante, tonitruante même, il impose le silence et donc l’écoute, pointe Denis Gancel. Celle de Dieu pour les croyants, celle des autres pour tous. »
À cela s’ajoute le charisme physique, ingrédient essentiel dans la construction de son image comme dans la portée de son message, estime Arnaud Dupui-Castérès, spécialiste de communication politique et président du cabinet de conseil en communication Vae Solis. « Le fait qu’il soit souriant, avenant et accessible prédispose l’auditoire en sa faveur et contribue largement à rendre son message audible, souligne-t-il. Tout comme la simplicité qui le caractérise dans un rôle de non-simplicité absolue ». Une étrangeté de plus qui, en le plaçant en accord complet avec les attentes de son époque, « lui aura permis de plaire à des gens qui ne lui étaient pas historiquement ou naturellement favorables ».
Sens du leadership et de la communication
Et surtout, d’oser déplaire. Car le pape ne se contente pas de séduire, il attaque aussi ; n’hésitant pas à dénoncer, au sein même de son institution, scandales et dysfonctionnements en se plaçant dans une vision qui va bien au-delà de son pontificat. De quoi, selon Denis Gancel en faire, plus qu’un bon communiquant, un authentique modèle de gouvernance. « Le fait qu’il soit cohérent, capable de mettre sa parole en action, ancré dans le réel et le long termes sont les caractéristiques d’un très grand leader », résume-t-il. D’autant plus grand qu’il a su valoriser l’ensemble de ces atouts dans une stratégie de communication à l’efficacité désormais éprouvée. « Il s’est bâti une image d’ouverture sur des sujets consensuels et transversaux – l’aide aux migrants, la lutte contre la pauvreté… – qui parlent à tous et lui valent d’être entendu de tous, rappelle Arnaud Dupui-Castérès. Et c’est précisément cela la communication : l’art de savoir étendre son pouvoir d’influence. » Respect.
Caroline Castets