À 24 ans, Louis Larret-Chahine a déjà plusieurs casquettes : élève-avocat, créateur d’une galerie en ligne spécialisée dans l'art urbain, et co-fondateur de Predictice, start-up consacrée à la justice prédictive. L’objectif est de donner aux avocats et aux juristes l’accès aux probabilités de réussite des cas qu'ils plaident.

Comment est née Predictice ?

Les cabinets d’avocats et les directions juridiques font face de manière récurrente à des questions telles que : « Quelles sont nos chances de gagner un procès ? » et « Comment analyser le risque juridique ? ». Avec un ami juriste, nous avons commencé à faire de l’analyse statistique mais de manière très artisanale. Nous prenions une vingtaine de jurisprudences similaires et essayions de faire une moyenne, une médiane… Pour améliorer notre approche, nous nous sommes rapprochés de deux copains ingénieurs, l’un spécialiste des solutions de maintenance prédictive et l’autre développeur full stack. Ensemble, nous avons réalisé une étude de marché, créé une société en janvier 2016 et démissionné de nos travails respectifs pour se concentrer à plein temps sur ce projet. 

 

Quels soutiens avez-vous reçus ?

OVH nous a apporté un soutien technologique en nous garantissant la gratuité de nos serveurs pendant six mois. Cette période a depuis été renouvelée. C’est rassurant car faire tourner des algorithmes aussi gourmands en puissance de calcul coûte très cher. Nous avons aussi recours à un algorithme de Google qui décortique les liens grammaticaux dans le langage humain, ce qui nous permet d’extraire du sens de gros volume de jurisprudence. À cela s’est ajouté un soutien juridique. Des cabinets d’avocats, tels que Dentons, Taylor Wessing et Solegal, ainsi que des directions juridiques, comme celle d’Orange, ont mis en place des groupes pilotes pour tester notre solution. Leurs retours nous permettent de développer de nouvelles fonctionnalités et d’adapter au mieux notre outil aux exigences du professionnel.

 

Qui sont vos clients ?

Nos utilisateurs ont des profils divers. Predictice est un outil d’aide à la décision pour les avocats qui permet d’accroître la prévisibilité de la justice et de mieux conseiller leurs clients. Il également utile pour les directions juridiques puisqu’il améliore leur analyse des risques. Confrontées à des contentieux récurrents, elles peuvent mieux les traiter et les budgéter. Enfin, les étudiants et les enseignants qui souhaitent tester les fonctionnalités de notre logiciel le peuvent également.

 

Sur quelles données vous appuyez-vous ?

Nous utilisons des données ouvertes, à travers des fonds documentaires de jurisprudence comme CAPP et JADE, mis à disposition par la Direction de l’information légale et administrative. De plus, grâce à la loi Lemaire, les juridictions auront l’obligation de rendre leurs décisions publiques. Malheureusement sa mise en application risque d’être longue : entre trois et huit ans d’après la Cour de Cassation. Anonymiser les 4,1 millions de décisions rendues chaque année et les mettre sur une plateforme de manière exploitable prend du temps. La base Jurica, qui représente l’exhaustivité des décisions de la cour d’appel depuis cinq ou six ans, sera par contre « open sourcée » en septembre 2017.

« Predictice garantit un désengorgement des tribunaux par l’évaporation des contentieux les moins sujets à variation. »

 

Quel est le niveau de précision de vos prédictions et comment faire face à l’imprévisibilité de la mutation des magistrats ?

Nous pouvons établir un arbre de probabilités très fin. Cependant l’aléa ne peut disparaître et le juge peut toujours trancher différemment. Une anomalie dans le résultat peut venir soit de la décision du juge soit des conditions qui entourent l’affaire. Par exemple, les pensions alimentaires seront moins élevées dans le nord de la France qu’à Paris, non pas parce que les juges sont plus sévères mais parce que le bassin d’emploi et la richesse sont inférieurs. Il est important de garder à l’esprit que la justice est humaine. Avec Predictice, il ne s’agit en aucun cas d’automatiser le rendu de la justice mais d’être une aide à la décision. C’est un outil qui sert le justiciable par ricochet.

 

Allez-vous lever des fonds ?

La levée de fonds est devenue un graal dans le monde des start-up. Bénéficier de montants en cash très élevés est confortable mais contraignant : les fonds d’investissement n’ont pas les mêmes objectifs que ceux qui dirigent une société. Ils veulent qu’elle soit vite rentable et cherchent un développement à marche forcée. Nous préférons l’option d’un développement progressif, à raison d’un recrutement tous les trois mois. La question de la levée de fonds se posera peut-être si l’on est amené à s’internationaliser.

 

Où en est le marché de la justice prédictive aujourd’hui en France ?

Il y a un an, la justice prédictive était perçue comme farfelue, voire comme une arnaque. Aujourd’hui, elle génère 100 % de satisfaction auprès de nos clients. Quelques personnes travaillent sur la thématique de la quantification du risque ou de la prévisibilité mais le font d’une manière très différente de la nôtre. C’est le cas d’une société créée par un ancien magistrat et un mathématicien. Ces derniers réalisent des régressions linéaires sur des modèles schématisés à l’avance. Ils réalisent un travail en profondeur sur une question de droit, comme la pension alimentaire, et essaient de trouver tous les facteurs qui peuvent jouer. Leur outil est plus complexe que le nôtre, ne peut traiter que quelques problématiques juridiques et présente le désavantage de devoir être remodelé à chaque apparition d’un nouveau critère ou revirement de jurisprudence. Chez nous, tout est automatisé. Et l’intégralité du contentieux est traité.

 

Le digital représente-t-il une menace pour le métier d’avocat ?

La legal tech progresse vite mais vu l’état actuel des technologies, une intelligence artificielle ne remplacera pas le métier d’avocat tout de suite ! Il existe cependant une automatisation sur les tâches avec peu de valeur ajoutée (remplissage automatique de formulaires, dépôt de marque, de la création de société...). Mais dès que l’on sort de ce cadre, il y a une mise en relation avec le professionnel. Plus le problème est complexe, plus la présence de l’avocat est nécessaire. Ce mouvement va pousser les avocats à se reconcentrer sur leur valeur ajoutée, c’est à mon sens une bonne chose. 

 

Souhaitez-vous développer votre activité dans d’autres secteurs que le droit ?

Les systèmes prédictifs existent dans plein de domaines comme l’industrie, le e-commerce ou la médecine. Aujourd’hui, lorsqu’on implante un pacemaker, les données peuvent être transmises par wifi et être traitées pour anticiper un défaut de l’appareil. En finance, des robots effectuent seuls des décisions de prise de participation sur le marché. Développer un système de prévisibilité dans d’autres domaines est possible mais nous ne souhaitons pas y prendre part pour le moment : chacun son métier !

 

Que pouvons-nous vous souhaiter pour le futur ?

L’impact positif sur la Justice du développement d’outils tels que Predictice me tient particulièrement à cœur. Le système judiciaire tel qu’il existe aujourd’hui est coûteux, long et compliqué à comprendre pour le justiciable. Predictice permet de gagner en prévisibilité et de prendre une bonne décision sur le recours à la justice. Il garantit également un désengorgement des tribunaux par l’évaporation des contentieux les moins sujets à variation. Montrer à la partie adverse qu’elle a de grandes chances de perdre permet de la pousser à négocier, et ainsi de s’éviter quatre ans de procédure judiciaire et les frais qui vont avec.

 

Quel impact pour un avocat qui fait uniquement du contentieux ?

Les modes alternatifs du règlement des litiges prendront un rôle important. Il sera plus rapide, moins douloureux et plus économique pour un justiciable de négocier que d’intenter un procès. J’appelle de mes vœux l’avocat à endosser le costume de médiateur. Mais cela ne l’empêchera pas pour autant d’aller au contentieux. Une réduction du temps d’attente avant qu’un dossier ne passe en jugement est néanmoins souhaitable et permettra également aux magistrats de se recentrer sur des sujets aux enjeux forts.

 

Propos recueillis par Marion Robert

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