Digital, transformation et entreprise : le triptyque infernal
La transformation digitale n’est pas seulement un slogan marketing, loin de là. Ces dernières années ont vu, dans tous les secteurs d’activités, des entreprises bouleverser leur business model, adopter de nouveaux process, intégrer en interne des outils qui n’existaient pas encore quelques mois auparavant. « Les cycles d’évolution s’accélèrent. Les entreprises doivent se transformer vite et toujours avoir un coup d’avance », observe Jean-Pascal Beauchamp, associé chez Deloitte, en charge de l’activité restructuring financier. Cette mutation est encouragée par les différents acteurs de l’écosystème, et notamment par les salariés. « Le digital est déjà dans leur vie quotidienne. Ils ne comprendraient pas que l’entreprise ne fasse pas de même », explique Jean-Philippe Grosmaitre, associé chez Deloitte spécialiste de la restructuration opérationnelle. Mais transformer une entreprise ne s’improvise pas et n’est pas simplement une question d’outils.
Obtenir l’adhésion
« Pour mettre les gens en mouvement, il faut qu’ils comprennent le pourquoi. L’idée est de donner du sens au projet et d’expliquer aux utilisateurs ce qu’il va leur apporter », observe Vianney de Raulin, directeur associé d’Oresys. Et cette étape est certainement la plus importante de tout projet de transformation. « On peut estimer à 70 % les projets qui ont échoué à cause de la résistance au changement, confirme Jean-Pascal Beauchamp. Il faut faire très attention et veiller à neutraliser au maximum les résistances au changement. » Pour cela, la vision donnée par le management sera primordiale, de même que l’implication de certains opérationnels, que l’on appelle les early adopters, qui vont être capables d’entraîner la masse d’indécis derrière eux. La communication et le suivi des progrès seront également essentiels. « On ne change bien que ce qu’on mesure bien, affirme Jean-Philippe Grosmaitre. Il faut choisir les indicateurs que l’on veut suivre et les partager, afin de donner des signes de réussite et de maintenir les salariés motivés. »
70 % les projets ont échoué à cause de la résistance au changement.
Balayer les freins
Les managers du changement peuvent se frotter à d’autres freins. D’abord, l’ergonomie des outils : « Comme ils sont simples d’utilisation, les entreprises ont parfois la sensation qu’elles n’ont pas besoin d’accompagner le changement, explique Erik Ghesquière, directeur associé d’Oresys. Or, il ne s’agit plus de former les salariés aux nouveaux outils mis en place : il faut former aux usages et aux réflexes. » Autre point souvent sous-estimé, le financement du projet de transformation peut s’avérer problématique, comme le rappelle Jean-Pascal Beauchamp : « Les grandes entreprises connaissent à la fois ce coût et le risque qu’elles courent à ne pas entreprendre de transformation. Les PME en revanche sont prudentes, car elles n’ont pas les moyens de se transformer deux fois. Elles ont aussi plus de difficultés à accéder au financement. » De même, un projet mal pensé peut être un vrai risque pour l’entreprise : « Une entreprise qui rachète une jeune société pour son image mais sans faire bouger les lignes peut se retrouver en danger », explique Erik Ghesquière.
Acquérir des compétences
Nombreux pourtant sont les grands groupes qui ont avalé des start-up, à l’image du Crédit mutuel Arkéa, qui a racheté Leetchi, ou d’Amazon, entré au capital de Colis privé. L’objectif d’un tel rapprochement est multiple : accélérer le développement de nouveaux produits, enrichir son offre, apporter un service innovant à ses clients, redorer son image… « Il existe plusieurs modèles d’investissement dans les start-up, détaille Jean-Philippe Grosmaitre. Le corporate venture en est un, qui est en forte croissance : il est très présent aux États-Unis et de plus en plus dans le SBF 120. » Autre modèle, le joint venture, qui permet de laisser son indépendance à la start-up. Attention toutefois, car intégrer une jeune entreprise en son sein est plus facile à dire qu’à faire ! « Il est important de ne pas se satisfaire d’avoir une entreprise à deux vitesses : il faut agir », alerte Erik Ghesquière. Pour cette raison, certaines entreprises privilégient d’autres solutions, comme la création d’écosystèmes de partenaires qui se positionnent à différentes étapes clés de la vie de l’entreprise.
Exploiter la data
Autre volet devenu indispensable à la construction de la stratégie des entreprises, l’exploitation de la data est sur toutes les lèvres. « Aujourd’hui, l’acquisition et le stockage des données ne sont plus un problème, analyse Vianney de Raulin. La vraie question des entreprises est de parvenir à donner du sens à la data et à l’intégrer aux processus de décision. » Véritable pilier stratégique, la data permet aux entreprises de s’améliorer à tous les niveaux : marketing, produit, process interne, relation client… De ce fait, elle est devenue un outil indispensable des projets de transformation. « Les entreprises peuvent être un peu myopes sur leurs marchés et la rentabilité de leurs gammes de produits. Le big data peut les aider à y voir plus clair, ce qui est un des axes majeurs de la transformation digitale », estime Jean-Philippe Grosmaitre. Mais pour que cette mine d’or en reste une, les entreprises doivent en prendre soin. « Pour exploiter les données il faut réunir plusieurs compétences : techniques, statistiques et métier notamment, explique Vianney de Raulin. Ces compétences sont rares et pour cette raison, certaines entreprises délèguent la gestion de leurs données. Mais il peut être dangereux de sous-traiter cette activité, pour des raisons à la fois de sécurité et de stratégie. »
Crédit photo : Trollbackco