Responsable de l'un des fonds d'investissement les plus performants en Europe en matière de sciences de la vie et de dispositifs médicaux, Gilles Nobécourt met en garde contre l'amour de la science, cette étreinte se faisant parfois au détriment des objectifs financiers.

Décideurs. Où en êtes-vous au regard de vos objectifs d'investissement ?

Gilles Nobécourt. Nous travaillons avec le fonds BioDiscovery 4, doté de 192 M€. Nous arrivons en fin de période d'investissement et allons commencer à lever son successeur dès la seconde partie de l'année. Ce véhicule est investi aux deux tiers dans des sociétés développant des molécules thérapeutiques, et pour le tiers restant dans des entreprises concevant des dispositifs médicaux. Nos cibles sont d'abord européennes (70-80 %), puis nord-américaines (30-20 %). BioDiscovery est avant tout un produit financier : notre stratégie est de bâtir un portefeuille équilibré entre le risque/retour et la liquidité. Nos fonds, d'une durée de vie de dix ans, doivent satisfaire nos souscripteurs, donc nous faisons le maximum pour leur renvoyer de l'argent dès la deuxième ou troisième année. Notre équipe se compose de neuf collaborateurs dont aucun n'a un profil purement financier. Vous retrouvez des médecins, biologistes, biochimistes... Notre compétence est d'abord axée sur le sous-jacent des sociétés. Nous apportons plus que de l'argent : un savoir-faire, un réseau et une crédibilité de marché.

 

Décideurs. Quels sont les sujets médicaux qui vous attirent le plus ?

G. N. Nous avons investi dans les activités liées aux produits biologiques, anticorps monoclonaux et bispécifiques, ou plus récemment, dans une biotech belge qui a développé une molécule permettant d'atteindre des cibles intracellulaires. Nous regardons systématiquement les sujets liés aux microbiomes ou à la thérapie cellulaire mais nous n'y avons pas encore investi. Trop précoces, ces dossiers doivent encore mûrir pour constituer de véritables pistes d'investissement.

 

Décideurs. La thérapie cellulaire est l'une des stars montantes des biotech. Ne faire que regarder ne risque-t-il pas de vous faire perdre de l'avance sur vos confrères investisseurs ?

G. N. J'ai un biais personnel sur ce sujet. J'ai une expérience ancienne de la thérapie cellulaire. Dans le futur, des applications formidables en sortiront, mais à ce jour, des questions fondamentales en vue d'en faire des produits de routine au bénéfice des malades restent sans réponse. Ce domaine fait appel à beaucoup de morceaux de technologies, et on est encore éloigné de versions industrielles. Une grande partie des applications de la thérapie cellulaire, parfois impressionnantes, sont autologues : les cellules d'intérêt sont prélevées sur la patient, modifiées puis lui sont réinjectées. Encore aujourd'hui ce genre de manipulation se fait en espace confiné, avec des opérateurs en scaphandre, d'où une productivité très faible pour un produit très cher (car unique pour chaque malade).

 

Décideurs. Comment garder son sang-froid vis-à-vis de la science confrontée aux défis commerciaux et financiers que doivent relever chaque produit ?

G. N. Si vous êtes amoureux de la science, il ne faut pas faire de l'investissement. Il ne faut pas se tromper, et c'est pour cela que nous retournons toujours aux sources en expliquant à nos partenaires que BioDiscovery est un produit financier – qui doit rapporter plus qu'il ne place. Nous ne faisons pas du développement de médicaments qui génèrent éventuellement des gains. Autre exemple, nous avons en interne de longues discussions sur CRISPR-Cas9. C'est une technologie d'ingénierie du génome très à la mode et bien vue par les marchés financiers (deux ou trois sociétés valorisées à plus de 600 M€). Nous avons vu des dossiers mais ne les avons pas conclus. En dépit de toutes ses promesses, cette technologie seule n'est pas un produit thérapeutique mais elle doit s'inscrire dans un continuum technologique dont toutes les pièces ne sont pas encore posées. Au final, cette discipline semble donner des résultats : sur la période 2005-2015, nous avons emmené 14 entreprises pour un multiple moyen de 3 fois et un TRI de 41 % (détention moyenne de quatre ans).

 

FS

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