Par Laurent Archambault, avocat, et Alicia Mâzouz, docteure en droit. Selene Avocats

Les aéronefs sans pilote ou Unmanned Aircraft System, généralement appelés « drones », se forgent progressivement une place essentielle dans le ciel. La variété des usages (sécurité privée, contrôle des chantiers, des voies de chemin de fer, transports...) et le développement de l’industrie spécialisée, constituent autant de signes invitant à anticiper l’ensemble des difficultés juridiques. 

 

L’essentiel de la réglementation française, pionnière dans cette matière, repose aujourd’hui sur deux arrêtés du 11 avril 2012 (1). Essentielle mais encore insuffisante, la réglementation française, sous l’impulsion européenne et internationale, est vouée à l’évolution : la formation des pilotes de drones n’est pas adaptée, l’absence d’immatriculation rend complexe l’identification des appareils, les scénarii de vol ne sont pas toujours adaptés à la réalité des pratiques… En outre, cette réglementation n’envisage pas certaines problématiques juridiques. Des mécanismes de droit commun peuvent être également mobilisés pour permettre de résoudre les contentieux présents et à venir.

 

Les sanctions pénales des vols illégaux de drones
Les professionnels déplorent les vols illégaux qui dévalorisent leur activité, souvent respectueuse de la réglementation, et focalisent l’attention sur les difficultés posées par les drones (risques aux abords des aéroports, menaces terroristes, atteintes à des sites protégés…) et non sur leurs vertus. Une réponse pénale a pu être apportée pour certains vols. Le tribunal correctionnel de Nancy a ainsi sanctionné un pilote pour avoir survolé la ville et capturé des images (2). Cette décision peut être mise en perspective avec des ordonnances d’homologation, rendues par le président du tribunal de grande instance de Paris (3). Dans ces décisions, ont été sanctionnés l’absence d’autorisation du vol, la non-conformité de l’aéronef aux règles de sécurité, le non-respect des conditions de navigabilité… L’application des articles 223-1, 223-18 et 223-20 du Code pénal a permis de sanctionner un comportement à risque. C’est également un tel comportement dangereux qu’a sanctionné le tribunal correctionnel de Bayonne le 4 juillet 2014, la trajectoire d’un drone rentrant en conflit avec celle d’un hélicoptère de secours hélitreuillant des personnes victimes du naufrage de leur navire (4).

 

La responsabilité civile et l’assurance 
Si les constructeurs travaillent activement sur les technologies de détection et d’évitement (« see and avoid »), les drones ne sont actuellement pas capables d’éviter d’autres aéronefs évoluant à basse altitude (ULM, hélicoptères, avions en phase de décollage ou d’atterrissage). Les risques de collisions demeurent élevés. L’attention des exploitants doit alors être attirée sur leur responsabilité en cas d’accident. Une distinction est opérée par le Code des transports selon que le préjudice est causé par un aéronef à des personnes ou des biens situés à la surface, ou que le préjudice est causé par un aéronef en évolution à un autre aéronef. Dans le premier cas, l’article L. 6131-2 envisage une « responsabilité de plein droit » de l’exploitant de l’aéronef. La preuve d’une faute n’est pas exigée pour engager la responsabilité de l’exploitant. Dans le second cas, en vertu de l’article L. 6131-1, la responsabilité du pilote comme celle de l’exploitant, sont régies par les dispositions du Code civil?: la responsabilité pour faute du pilote ou pour fait de la chose devrait être engagée. Toutefois, au regard de la responsabilité du commettant et du préposé, la responsabilité personnelle du télépilote agissant sous les ordres d’un commettant ne pourrait pas nécessairement être recherchée. En cas de location de l’appareil, l’article L. 6131-4 prévoit que « le propriétaire et l’exploitant sont solidairement responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés ». L’application de ces règles spécifiques aux aéronefs, combinées à celles de droit commun, peut entraîner des difficultés. L’absence d’assurance obligatoire et le faible nombre d’assureurs spécialisés dans ce domaine suscitent également quelques inquiétudes légitimes. Les exploitants doivent veiller à garantir les risques liés à l’emploi de drones, car en l’absence de solvabilité, l’effectivité de la responsabilité civile est assurément mise à mal. 

 

La protection de la vie privée et des données personnelles 
Les particuliers comme les professionnels doivent inscrire leur usage dans le respect de la vie privée tel que protégée par l’article 9 du Code civil. L’image des personnes comme celle de leurs biens ne peut être captée, exploitée, diffusée librement. Par ailleurs, dans le cadre d’utilisations professionnelles de drones telles que la surveillance, des données personnelles sont susceptibles d’être collectées. Les capteurs intégrés sur les drones permettent de recueillir du son et des images contribuant à identifier une personne ou à saisir des données relatives à la géolocalisation. L’ensemble de ces données constitue des données personnelles, au sens de l’article 2 de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. La conservation des données obtenues par le biais de drones doit s’inscrire dans le respect de cette loi ainsi que de la directive européenne du 24 octobre 1995. En particulier, l’article 34 de la loi précitée impose au responsable du traitement des données d’en préserver la sécurité afin, notamment, qu’elles ne soient pas détournées par des tiers. Or, le drone peut être détourné de son vol par le brouillage de signaux et les images sont susceptibles d’être interceptées. Il convient de penser l’encadrement des données personnelles au regard des particularités techniques des drones. L’usage des drones civils s’inscrit donc dans le respect d’un cadre juridique important. Aussi, les professionnels doivent impérativement s’assurer de la conformité de leur pratique.

 

1. Arrêtés du 11 avril 2012 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent, JORF n°?0109?; 10 mai 2012, texte n°?8 et relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord, JORF n°?0109, 10 mai 2012, texte n°?9.
2. TGI Nancy, Ordonnance d’homologation, 20 mai 2014, n°?minute 173/14
3. TGI Paris, Ordonnance d’homologation, 20 fév. 2014, n°?minute 369 ; 2 oct. 2014, n°?minute 1682 ; 3 mars 2015, n°?minute 491.
4. TGI Bayonne, 4 juill. 2014, n°?minute 864/2014.

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