Deux ans après l’échec Yahoo, Dailymotion a enfin trouvé preneur. Vivendi a ainsi déboursé 245 millions d’euros pour acquérir 90 % du capital auprès d'Orange. La start-up restera bien sous pavillon français.

Stéphane Richard, le président d’Orange, décrit l’association entre la plate-forme de vidéos et Vivendi comme «?le plus bel attelage pour faire avancer Dailymotion?». Il aurait sans doute dit l’inverse deux ans auparavant lorsqu’il était sur le point de signer avec l’américain Yahoo?!


«?Made in France?»


Flash-back. Au printemps 2013, Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif fait campagne pour le «?made in France?». Lorsqu’il apprend qu’Orange, dont l’État est actionnaire, s’apprête à vendre Dailymotion au géant américain, il s’arme de son bâton de pèlerin et fait capoter l’opération. «?Dailymotion est une filiale d’Orange, et non de l’État, s’énervait alors Stéphane Richard. J’avais même refusé que Yahoo?dispose d’une option pour acheter la totalité du capital de Dailymotion, et nous étions sur le point de trouver un arrangement.?» Yahoo était en effet prêt à payer 300?millions de dollars pour 75?% du capital, soit une valorisation de la société à 275?millions d’euros. Une somme rondelette puisque le diffuseur n’était valorisé que 120?millions d’euros en janvier?2013, après qu’Orange eut grimpé à 100?% du capital.


Cédric Tournay, le P-DG de Dailymotion, monte aussi au créneau?: «?Je regrette le blocage gouvernemental. (…) Certes, nos racines sont françaises, nos équipes aussi, majoritairement, mais nous sommes présents à Londres, New York, Palo Alto, São Paulo… Les États-Unis sont notre premier marché, représentant 35?% de notre chiffre d’affaires. C’est plus que la France qui ne fournit plus que 20?% de nos audiences.?» Bref, une leçon d’économie pour notre ministre du Redressement productif. La situation vire aux couacs gouvernementaux lorsqu’à l’issue du Conseil des ministres du 1er?mai 2013, Arnaud Montebourg affirme qu’il a pris sa décision en concertation avec Pierre Moscovici. Le ministre de l’Économie et des Finances dément. Pire encore, la ministre de l’Économie numérique d’alors, Fleur Pellerin, tente de ramener Yahoo à la table des négociations. En vain.


Un échec qui fait fuir les autres prétendants étrangers de l’époque?: Microsoft et l’opérateur téléphonique hongkongais PCCW. Reste alors Vivendi, déjà de la partie, mais les désaccords stratégiques font qu’aucun accord n’est trouvé. «?Les négociations avaient capoté car Orange ne voulait pas céder le contrôle et à cause d’un débat sur le freemium?», explique Rodolphe Belmer, alors président de Canal +. Vivendi souhaitait en effet faire de la plate-forme un acteur de la vidéo payante. Malgré ce deuxième échec, Stéphane Richard ne désespère pas et effectue un voyage aux États-Unis au cours duquel il rencontre les patrons d’Amazon, d’Apple et de Facebook. Car Orange a alors un plan stratégique bien précis. En montant à 100?%, l’opérateur souhaite donner les moyens à la pépite hexagonale de concurrencer Youtube. Pour cela, le Français cherche un allié américain puissant. L’ingérence de l’État l’oblige finalement à revoir ses plans.


Dailymotion distancée


Reste que faute de partenaire étranger et de moyens financiers, Dailymotion se fait distancer par Youtube. En 2011, au moment de l’entrée d’Orange au capital, la plate-forme était seulement deux fois plus petite que sa concurrente américaine. Aujourd’hui, un milliard de vidéos sont regardées chaque jour sur Youtube, contre 130?millions pour la petite française, soit huit fois plus. Pourtant, les deux plates-formes sont nées à seulement un mois d’intervalle… Autre atout pour le géant américain, sa force de frappe publicitaire. Depuis son rachat par Google en 2006 pour 1,7?milliard de dollars, Youtube connaît une croissance exponentielle. La synergie entre les deux acteurs est parfaite?: le moteur de recherche intègre ses publicités sur la plate-forme de vidéos et en échange il favorise son positionnement dans les requêtes faites par les internautes. Il fournit également à ses partenaires son player personnalisable et prélève moins de la moitié des revenus publicitaires. Et le projet d’offre payante à un abonnement mensuel permettant de visionner Youtube sans publicité est attendu courant 2015. Résultat, le chiffre d’affaires s’est envolé. En 2014, il atteint quatre milliards d’euros?: quarante fois plus que Dailymotion?!


Mais la société française, seule concurrente potentielle, continue d’attirer les investisseurs. Deux ans plus tard, ils sont quatre en lice?: Fimalac, l’allemand ProSieben, le chinois PCCW et Vivendi. Le premier n’a pas les faveurs d’Orange?: trop franco-français et pas assez porteur de valeur ajoutée bien que le groupe se soit construit un profil média avec les rachats d’Allociné et Webedia en 2013. Les négociations se dégradent encore plus quand Marc Ladreit de Lacharrière, le patron de Fimalac, profite de la visite de François Hollande chez Webedia pour plaider sa cause. Une approche que Stéphane Richard n’apprécie pas du tout. Selon une source proche du dossier, le troisième investisseur finit quant à lui par renoncer, découragé par les déclarations d’Emmanuel Macron en faveur d’une solution européenne. Alors que PCCW et Dailymotion s’apprêtent en effet à entrer en négociation exclusive, le ministre de l’Économie intervient pour indiquer qu’«?il était nécessaire que toutes les options puissent être examinées en prenant en compte l’enjeu de souveraineté européenne?». Pourtant, Orange serait resté cette fois-ci majoritaire?: le deal comprend la vente de seulement 49?% de Dailymotion à PCCW. La faute aux politiques encore ? Pour Vincent Le Stradic, associé chez Lazard en charge de l’opération, les faits sont différents?: «?Il n’y a eu aucune pression du gouvernement et je ne pense pas que les bruits de fond relayés par les médias aient influencé les acheteurs potentiels que j’ai rencontrés. Ils considéraient plutôt cela comme une contrainte externe.?»


Vivendi accélère


Ne reste donc plus que le français et l’allemand. Pour remporter la mise, Vivendi accélère le rythme des négociations. «?En moins de deux semaines, le groupe français a formulé une offre. Pris de court, aucun des autres acheteurs potentiels n’a formulé de contre-offre?», précise Vincent Le Stradic. C’est donc finalement Vivendi qui s’impose. En proposant 217?millions d’euros pour racheter 80?% du capital, le groupe français valorise la société à 270?millions d’euros. L’opérateur télécom, dont l’État détient encore 24,9?%, conserverait les 20?% restants.


Au gouvernement, l’heure est à l’autosatisfaction. Ils ont finalement obtenu leur solution franco-française tant désirée. Arnaud Montebourg pourrait dire que le «?made in France?» est sauvé. Mais la facture de ces deux ans d’attente est lourde. Outre le retard pris sur Youtube, la valorisation de Dailymotion a baissé de dix millions d’euros et Orange a dû investir massivement dans la plate-forme de vidéos en ligne?: 8,2?millions d’euros en décembre?2013, 12,3?millions en mai?2014 et 6,7?millions, à travers une augmentation de capital, en janvier?2015. Autant de facteurs qui ont poussé Orange à dévaloriser Dailymotion de cinquante-huit millions d’euros dans ses comptes. Cela n’empêchera pas quelques mois plus tard Vivendi de marquer une nouvelle fois son intérêt pour la plate-forme française. Début septembre, le groupe annonce qu’il achetait 10?% supplémentaires pour monter à 90?% du capital. En investissant pour cela 27?millions d’euros, il valorise désormais Dailymotion à 271?millions d’euros, tout juste un petit million de plus.


Comment interpréter un tel empressement?? Vivendi a compris que la lutte sur le même terrain que Youtube était vaine. Si l’internationalisation était bien évidemment un axe de premier plan, il fallait miser sur la création de contenus pour se différencier. Une stratégie qui coûte cher. Selon des proches du dossier, les investissements nécessaires pour relancer Dailymotion se chiffreraient à une centaine de millions d’euros. La montée de Vivendi au capital n’est donc pas une surprise. Au cours de ces dernières années, le groupe français s’est recentré sur ses activités de médias. Pour cela, il s’est séparé de nombreux actifs, engrangeant au passage quinze milliards d’euros. Il dispose désormais d’une trésorerie importante qu’il pourra utiliser pour relancer Dailymotion et Canal+. Et grâce à une forte présence à l’étranger, une puissance dans la création de contenus avec la chaîne cryptée et Universal Music, le groupe français a le profil parfait.


Contenu différenciant


Plus que celui du chinois PCCW, indirectement écarté par le gouvernement?? Pas sûr, ce dernier aurait permis à Dailymotion de s’implanter rapidement en Asie, région où Youtube pourrait être encore concurrencé. Du côté de Vivendi et d’Orange, on insiste sur la valeur ajoutée de l’opération?: internationaliser Dailymotion en lui donnant des contenus qui n’existent pas ailleurs. « Nous aurons une valeur éditoriale supérieure à Youtube?», n’hésite-t-on pas à dire chez Dailymotion.


La puissance de frappe d’Universal Music, qui gère des artistes tels que Lady Gaga, Nicki Minaj ou encore Stromae, pourrait leur donner raison. D’autant plus qu’un tiers des vidéos visionnées ont un rapport avec la musique. Mais Vivendi prévient déjà?: «?On ne va pas faire moins avec les autres plates-formes, on va simplement faire plus avec Dailymotion.?» Pour cela, le groupe Canal + dispose d’une participation minoritaire dans Maker Studios, premier producteur et distributeur de contenu vidéos en ligne aux États-Unis, et de sa pépite française Studio Bagel qui crée des formats courts pour des chaînes en ligne comme Studio Movie et Studio Gaming. Aujourd’hui, Studio Bagel compte six millions d’abonnés et génère plus de quarante millions de vidéos vues par mois sur… Youtube.


V. P.

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