Cet été, le think tank Entreprise et Progrès présentait un rapport sur les enjeux humains de la transition environnementale en entreprise. Les directeurs des ressources humaines ont un rôle central à jouer. Pour les y aider, le groupe de réflexion propose des actions très concrètes. Eclairage avec Marion Darrieutort Présidente d’Entreprise et Progrès et CEO du cabinet de conseil en influence The Arcane et Benoît Derigny Directeur général de Manpower France.

Décideurs. Comment votre think tank Entreprise et Progrès en est-il venu à travailler sur l’intégration de l’humain dans la transition environnementale au sein des entreprises ?

Marion Darrieutort. Nous nous sommes retrouvés autour d’une angoisse commune : la crainte que la transition écologique mène à une grosse casse sociale. Au départ, nous pensions que, pour répondre à ce défi, il fallait transposer au volet environnemental ce qui avait été fait pour la transition digitale. Ce postulat de départ s’est révélé faux car la transition environnementale n’est pas un sujet technique comme la digitalisation des compétences mais une problématique stratégique et culturelle. Pour le numérique, il y a eu le chief digital officer mais, en interrogeant les DRH, nous nous sommes rendu compte que nombreuses étaient les personnes dans l’entreprise à être touchées par les évolutions induites par le changement climatique et qu’il fallait donc opérer de manière transversale. D’où le rôle central que prendra la direction des ressources humaines.

Quels sont les principaux constats que vous avez dressés dans votre rapport ?

Benoît Derigny. La transition écologique repose sur plusieurs postulats. Le premier est d’ordre technologique :  comment décarboner ? Il ressort de nos discussions avec les chefs d’entreprise que les deux tiers des solutions technologiques sont déjà disponibles. Les autres le seront d’ici 10 à 20 ans. Vient ensuite la question du financement puisque certaines avancées vont s’autofinancer quand d’autres n’engendreront pas de gains. Quant au dernier sujet, il s’agit d’un angle mort : les RH. C’est pourquoi nous avons discuté avec un certain nombre de DRH. Nous nous attendons à ce qu’ils donnent l’impulsion et mettent la transformation écologique à un niveau stratégique.

Le secteur des RH va jouer un rôle de premier plan dans la transition écologique des entreprises

Comment les métiers sont-ils appelés à évoluer ?

Benoît Derigny. Cela va dépendre des types d’emplois. Les véritables nouveaux métiers nécessaires à la transition comme la dépollution des sols ou l’écoconception forment la partie visible de l’iceberg mais pas forcément la plus importante. Ensuite, il y a les emplois vulnérables. Ceux pour lesquels nous avions une angoisse quand nous avons commencé à travailler sur le sujet, car ils touchent surtout les personnes les moins qualifiées. En réalité, les risques concernant ces emplois sont les plus spectaculaires mais ce ne sont pas ceux qui comportent les menaces les plus significatives. Le cœur du sujet – puisqu’il concerne beaucoup plus de monde –, ce sont les emplois que l’on qualifie de verdissants.

Toute une série de métiers vont devoir acquérir des compétences. Ce qui ne fera que renforcer la pénurie de talents que nous connaissons actuellement. La transition va amplifier les tensions sur le marché du travail. Certaines entreprises l’ont bien compris quand d’autres n’ont pas entamé leur chemin. Or le sablier est déclenché par un phénomène scientifique et les entreprises devront intégrer dans toute leur chaîne de valeur ces changements. D’où l’importance de la fonction RH.

Vous proposez un "green leadership model" afin d’aider les DRH à transformer leurs pratiques managériales. En quoi cela consiste ?

Marion Darrieutort. La DRH doit agir comme une boussole. Elle porte une vision positive pour engager tout le monde, que ce soit pour répondre aux craintes des éco-anxieux ou convaincre ceux qui n’ont pas vraiment de convictions (les climatosceptiques, eux, sont difficilement réceptifs à ce type de discours de toute façon). Il convient aussi de mettre en avant toutes les actions qui placent la planète au centre de l’action : développer les bonnes pratiques métiers qui lui bénéficient, avoir une culture de l’impact, sensibiliser les uns et les autres.

Les DRH doivent agir avec responsabilité en montrant l’exemple. Quelles actions concrètes préconisez-vous ?

Marion Darrieutort. Il faut s’attaquer aux descriptions de postes en intégrant dans chacune des missions une notion d’impact. Pour ma part, je fais ce travail sur les postes de consultants que je propose. Cela demande une vraie réflexion mais cette transition peut faire partie intégrante de tous les métiers. Les budgets doivent également être repensés. Une partie de ceux-ci doit être utilisée à des fins vertes et sociétales.

Enfin, et les DRH avec lesquelles nous avons discuté ont beaucoup insisté : les variables des collaborateurs comporteront des objectifs extra-financiers. Par exemple, les commerciaux qui réduisent le nombre de leurs déplacements en voiture toucheront un meilleur bonus.Pour opérer la transformation à venir, le middle-management va devoir s’engager et ces mesures peuvent participer à leur implication. Les DRH sont tenus de s’emparer du sujet et de le mettre au bon niveau de l’entreprise pour changer les esprits.

"Les commerciaux réduisant leurs déplacements en voiture peuvent toucher un meilleur bonus"

Quitte à prendre le risque que ce sujet soit perçu comme politique au sein de l’entreprise ?

Benoît Derigny. Il faut rendre chacun acteur du mouvement à l’intérieur des entreprises. Les entreprises sont le reflet de la société. Presque toujours, vous y retrouvez des gens qui sont extrêmement sensibles à ces sujets mais qui n’en parlent pas forcément, d’autres qui doutent de ce qui se passe. Des outils pédagogiques existent, comme la fresque du climat. Toutefois, celle-ci ne peut être présentée sans solutions aux équipes car elle se révèle souvent anxiogène et peut pousser certains collaborateurs à se demander ce que vient faire ce sujet dans la vie professionnelle. C’est une vraie problématique RH de savoir amener la question sans pour autant qu’elle devienne polémique. Les DRH doivent trouver le bon dosage.

Quand on arrive à embarquer, cela redonne aussi du sens à leur métier. Ce qui est nécessaire notamment pour la génération Z, qui représentera 30 % des salariés en 2030 et se montre très demandeuse d’avancées en la matière.

Une telle évolution va-t-elle participer à rendre la fonction RH davantage stratégique dans certaines entreprises où elle est encore le parent pauvre ?

Marion Darrieutort. J’en suis persuadée. Les fonctions support sont stratégiques. Les directions juridiques, poussées par la judiciarisation de la société, sont dans l’anticipation du risque. Les directeurs de la communication doivent faire face à des sujets d’interprétation sociétale et les DRH ne font pas que de la technique. Elles sont appelées à s’intéresser au social et au sociétal et à orchestrer la transformation environnementale. Ce qui rend le métier très intéressant. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que la nouvelle CEO de Chanel soit une ancienne DRH, venue de chez Unilever, dans une période de tensions économiques et de difficultés de recrutement. Le mouvement est en marche.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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