Au niveau mondial, les besoins en infrastructures sont estimés à 2 500 milliards de dollars par an pour les vingt prochaines années. Pourtant, les capacités financières des pouvoirs publics s’avèrent insuffisantes pour relever seuls un tel défi. L’apport de capitaux privés apparaît dès lors comme une solution incontournable. Cette nécessité coïncide avec une demande croissante : celle des investisseurs institutionnels et des épargnants, désireux de se positionner sur des placements attractifs à long terme. Dans ce contexte, les fonds de private equity spécialisés dans cette classe d’actifs jouent un rôle stratégique. Adrien Tourbet, responsable des investissements non cotés au sein du multi-family office Scala Patrimoine, apporte son éclairage sur les contours de cette dynamique.
Adrien Tourbet (Scala Patrimoine) : "Les fonds infras jouent un rôle de catalyseur économique"
Pourquoi les fonds d’infrastructure attirent-ils les investisseurs ?
Adrien Tourbet. Les fonds de private equity investissant dans les infrastructures offrent une stabilité, une régularité et une prévisibilité des revenus, grâce à des actifs souvent régulés ou sous contrat.
En effet, les contrats d’exploitation garantissent des revenus sur plusieurs décennies. On observe par ailleurs une progression notable des partenariats entre le secteur public et le secteur privé, visant à répondre aux besoins croissants en matière d’infrastructures
Autre avantage non négligeable : ces infrastructures présentent une faible corrélation avec d’autres classes d’actifs traditionnelles, limitant ainsi leur exposition aux cycles économiques.
Cette classe d’actifs se révèle également résiliente face aux turbulences économiques. Fournissant des services essentiels à la population, les infrastructures répondent à un besoin constant, quelle que soit la conjoncture. Dans cette optique, les fonds ont prouvé leur robustesse au fil des années, traversant sans heurts la crise sanitaire du Covid-19 ou la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine.
"Les infrastructures présentent une faible corrélation avec les classes d’actifs traditionnelles"
Les rendements qu’elles génèrent, souvent indexés sur l’inflation, répondent aux attentes des investisseurs à long terme, tandis que les marges opérationnelles élevées assurent un potentiel de rendement solide.
Enfin, la concurrence demeure naturellement limitée, les barrières à l’entrée étant conséquentes.
Quels types d’actifs sont ciblés par ces fonds ?
Les gestionnaires d’actifs concentrent leurs investissements sur des infrastructures traditionnelles, piliers de l’économie moderne. Cela englobe les réseaux de transport tels que les routes ou les aéroports, mais également le secteur de l’énergie avec les centrales électriques. Sans oublier les bâtiments publics comme les hôpitaux ou les écoles.
Parallèlement, les fonds se tournent de plus en plus vers les actifs numériques, reflet de l’ère technologique. Ces investissements concernent les centres de données, les réseaux de fibre optique et les tours de télécommunication, qui constituent l’épine dorsale de notre société connectée.
Enfin, les infrastructures vertes émergent comme l’un des domaines les plus stratégiques et porteurs d’avenir. Elles incluent les énergies renouvelables, ainsi que les solutions de stockage d’énergie. S’ajoutent à cela la distribution et le traitement des eaux, ainsi que les infrastructures spécialisées dans le traitement des déchets et le recyclage, essentielles à la transition écologique.
Comment sont structurés ces fonds ?
Les fonds d’infrastructures offrent l’occasion d’investir tant en equity qu’en dette privée, avec des actifs classés selon le degré de maturité des projets qu’ils incarnent. Les actifs dits greenfields désignent les projets naissant ex nihilo, porteurs de promesses mais aussi de risques accrus. À l’opposé, les actifs brownfields concernent des infrastructures déjà érigées, pleinement opérationnelles. Ici, le risque se réduit, tout comme, en miroir, les espérances de rendement. Quelles que soient leurs spécificités, ces fonds prennent la forme de véhicules fermés, engageant les investisseurs sur des horizons de dix à quinze ans, à l’image des fonds de private equity traditionnels. Ils adoptent un modèle hybride, alliant des objectifs de rendement stable – souvent sous forme de dividendes – et une valorisation du capital à long terme.
Quelles sont les tendances actuelles sur le marché des infrastructures ?
La classe d’actifs connaît un essor fulgurant. D’après une étude menée par France Invest, en 2021, pas moins de 8,9 milliards d’euros ont été investis par les acteurs français de l’infrastructure, un chiffre qui a doublé depuis 2017. À l’échelle mondiale, les levées de fonds atteignaient 102,4 milliards de dollars en 2019, contre 71 milliards en 2016. Les projections sont éloquentes : l’infrastructure est pressentie pour devenir, dès 2026, la première classe d’actifs sous gestion, surpassant l’immobilier, avec un volume estimé à 1 870 milliards de dollars. Un succès éclatant, illustré par les levées de fonds d’envergure réalisées par la société de gestion canadienne Brookfield et l’entité française Antin Infrastructure Partners, qui ont respectivement réuni 28 milliards de dollars et 9,8 milliards d’euros pour leurs derniers véhicules d’investissement.-
"Les fonds d’infrastructures offrent l’opportunité d’investir tant en equity qu’en dette privée"
Depuis plusieurs années, les fonds infras s’orientent résolument vers la transition énergétique et les projets durables. Cette dynamique a donné naissance à des stratégies à impact qui intègrent des critères ESG (environnement, social, gouvernance), marquant ainsi une évolution indéniable des pratiques.
Enfin, la transformation numérique a intensifié la demande pour les actifs digitaux, reflétant un engouement croissant pour cette catégorie d’investissement.
Quels sont les principaux défis pour les fonds d’infrastructure ?
Les investissements dans les infrastructures se révèlent particulièrement sensibles aux fluctuations des cadres réglementaires, exposant ainsi les investisseurs aux aléas des politiques gouvernementales. Par ailleurs, ces actifs, peu liquides par nature, suscitent une incertitude persistante quant à la temporalité de leur revente. On notera également l’intensification de la concurrence sur les transactions, qui tend à faire grimper les valorisations.
Enfin, un enjeu majeur s’impose : celui de la gestion des risques climatiques. Les actifs physiques, exposés à des événements extrêmes de plus en plus fréquents, exigent une vigilance accrue.
Quel rôle jouent ces fonds dans l’économie globale ?
Les températures globales ont déjà grimpé de 1°C depuis l’ère préindustrielle. Si aucune mesure significative n’est prise, cette augmentation atteindra +1,5°C d’ici à 2040, un seuil critique pour notre planète. Dans ce contexte, accélérer la transition énergétique en délaissant les combustibles fossiles au profit des énergies renouvelables devient une nécessité impérieuse.
Les fonds de private equity se révèlent donc être des leviers essentiels pour décarboner l’économie mondiale. Parallèlement, les fonds jouent un rôle de catalyseur sur le plan économique. En modernisant les infrastructures, ils favorisent la croissance, stimulent l’innovation technologique et soutiennent la création d’emplois locaux.