Face à des décisions importantes, à un contexte économique incertain ou à des préjugés bien ancrés sur les patrons, certains chefs d’entreprise sont traversés par un sentiment de solitude qui peut finir par être dommageable pour leur activité. Des solutions et des ressources aussi bien en interne qu’en externe existent pour se sentir davantage entouré.

Les derniers mois n’ont pas été de tout repos pour les chefs d’entreprise. Alors qu’ils devaient clôturer leurs dossiers avant la pause estivale, Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale. S’en sont suivies les craintes liées à l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir puis l’émergence du programme du Nouveau Front populaire, qui donne des sueurs froides à nombre de patrons. Pour ne rien arranger, le président de la République tarde à nommer un premier ministre. Quelle que soit leur couleur politique, les dirigeants d’entreprise n’aiment pas l’incertitude et ont besoin de stabilité et de visibilité pour prendre des décisions à moyen terme. Ces semaines de flou sont venues renforcer pour certains un sentiment bien connu par beaucoup d’entrepreneurs : la solitude dans l’exercice de leurs fonctions.

En 2016, Bpifrance menait une étude à ce sujet. La banque publique révélait alors que 45 % des dirigeants de PME et ETI se sentaient isolés. En cause ? Le poids des responsabilités et du pouvoir, le manque de reconnaissance et les préjugés, la difficulté de bien s’entourer, les difficultés ponctuelles ou encore celle d’arriver à concilier vie pro et vie perso. Si ces chiffres et ces explications commencent un peu à dater, le phénomène perdure encore aujourd’hui. Quelles sont ses origines ? De quelle manière se manifeste-t-il ? Comment le combattre ? "On l’observe quelle que soit la taille de l’entreprise, constate Jérôme Kieffer, directeur général de KPMG en France. La prise de décision, l’incertitude économique mais aussi l’image que les chefs d’entreprise peuvent avoir dans la société créent parfois ce sentiment."

Signaux d'alerte

Tous les dirigeants d’entreprise ne sont pas égaux face à la gestion de cette solitude, qui est inhérente à la direction d’une société puisque, à la fin, il revient toujours au patron de trancher et d’assumer les conséquences de ses choix. Certaines personnalités apprécient la solitude plus que d’autres, mais toutes ne sont pas toujours au point sur la manière de s’apercevoir quand celle-ci devient un caillou dans la chaussure. "Au moment de la création de mon entreprise, j’avais davantage de moments de solitude et je ressentais plus de difficultés à déceler les passages où j’avais besoin d’aide ou d’accompagnement", se souvient Marine Alari, fondatrice et CEO du Kocon, premier espace de coworking adossé à une crèche.

Arriver à percevoir les signaux d’alerte fait partie des compétences que les chefs d’entreprise doivent arriver à développer afin d’éviter que des contrariétés ne se transforment en véritables problèmes pour la santé de l’entreprise ou la leur. "Il convient de voir les signaux d’alerte avant qu’il ne soit trop tard, insiste Jérôme Kieffer. Face à des décisions difficiles ou des périodes de forts enjeux pour l’entreprise ou face à la conjoncture, on peut se renfermer sur soi, perdre en lucidité et cela peut vite dégénérer. Les dirigeants doivent penser positivement la mise en place de réflexes vitaux afin d’éviter de nourrir le cercle vicieux."

Dissonance cognitive

La solitude, c’est également se sentir démuni lorsqu’il faut arbitrer des sujets sensibles. "Il faut savoir distinguer des sujets très factuels comme la rentabilité ou la trésorerie de la vision d’entrepreneur, du pourquoi on a entrepris, de nos valeurs, explique Marine Alari. Comment faire quand on a l’impression que l’on ne pourra pas prendre des décisions alignées avec nos valeurs ? Entreprendre s’avère un vrai tremplin dans notre développement personnel. Cela nous pousse à nous regarder dans le miroir."

Plusieurs solutions s’offrent aux patrons pour éviter de perdre pied. La première est bien entendu l’accompagnement. "Une gouvernance d’entreprise de qualité permet de partager ses difficultés et de réfléchir de manière collective aux prises de décisions, insiste Jérôme Kieffer. Mais cela suppose de partager une partie du pouvoir, ce qui n’est pas toujours évident lorsque l’on a créé sa société."

"Une gouvernance d’entreprise de qualité permet de partager ses difficultés et de réfléchir de manière collective aux prises de décisions"

Pour ce qui est de la vie extérieure à l’entreprise, "le socle amical et familial, tout ce qui relève de la santé physique, comme le sommeil ou le sport contribuent à compenser le sentiment de solitude", précise-t-il. Un avis que partage Marine Alari : "J’ai la chance d’être bien entourée à la maison, d’avoir un conjoint qui me soutient et avec qui je peux discuter des sujets qui me tracassent. Sans cela, je me sentirais davantage isolée." Tout comme l’entrepreneuse, les dirigeants peuvent également écrire, se nourrir de livres ou de podcasts. Nombreux sont les médias et plateformes sociales à proposer des témoignages sur la vie de chefs d’entreprise dans lesquels certains se livrent sans filtre sur leurs victoires et leurs défis du quotidien.

Réseauter 

Des aides extérieures à la famille et à l’entreprise sont également capables de permettre aux entrepreneurs de se sentir entourés. De nombreux réseaux existent, que ce soit le Medef, la CPME, Réseau entreprendre ou le Club excellence de Bpifrance. Des endroits où les chefs d’entreprise peuvent se rencontrer et échanger sur les bonnes pratiques. "Bénéficier de l’expérience de ceux qui ont déjà passé certaines étapes est un véritable atout. Je sais que si j’ai besoin, je peux m’appuyer sur leurs retours d’expérience", commente Marine Alari qui gravite dans plusieurs cercles. La CEO a également créé un espace de coworking où entrepreneurs, salariés et indépendants se côtoient, permettant de "créer des synergies incroyables entre eux". Certains ont confié leurs enfants à la crèche adossée aux bureaux, "ce qui les rend plus sereins et facilite leur logistique au quotidien". Et donc réduit la charge mentale, déjà bien lourde des dirigeants.

Trouver une oreille

Il est possible également pour les patrons de se confier à des personnes en interne ou à des clients lorsque leurs liens le permettent afin d’être aidés dans la résolution de certaines problématiques. Mais cela n’est pas possible sur tous les sujets. Les avocats, experts-comptables ou les collaborateurs des cabinets de conseil s’avèrent également des oreilles précieuses. "Je me fais accompagner une fois par mois par un coach. Je peux ainsi tout dire à cette personne de confiance et comprendre pourquoi j’ai réagi de telle ou telle façon face à une situation, confie Marine Alari. Parfois, nos émotions n’ont rien à voir avec le sujet mais elles font écho à ce qu’on a vécu précédemment. C’est important d’en prendre conscience pour être le plus juste possible. Toutefois, ce n’est pas quelque chose que l’on peut partager avec tout le monde." D’où l’intérêt d’avoir recours à un œil extérieur qui n’émettra pas de jugement.

"Bénéficier de l’expérience de dirigeants qui ont déjà passé certaines étapes est un véritable atout"

Certains éléments contribuent à amplifier le sentiment de solitude : absence de bras droit, temps de travail élevé, résultats déficitaires, difficultés de recrutement récurrentes, etc. "Dans les facteurs aggravants, il y a le contexte économique et les résultats financiers de l’entreprise, ajoute Jérôme Kieffer. Une solution consiste à introduire une réflexion à moyen terme : où est-ce que j’aimerais en être dans douze mois ? Il s’agit de sortir le nez de sa trésorerie (même si elle doit rester un domaine de préoccupation majeure) afin de s’éloigner un peu de la pression du quotidien."

Nouveaux moyens

Et les nouvelles technologies dans tout ça ? Des outils de pilotage financiers existent pour aider les dirigeants à s’appuyer sur des données fiables et à établir leurs stratégies. Si LinkedIn est l’endroit pour fêter ses succès et partager sa vie d’entrepreneur, les réseaux sociaux ne permettent pas de briser les solitudes comme le font les vraies rencontres. En revanche, certains dirigeants se servent de la plateforme pour prendre contact avec des pairs et leur demander des conseils. Quant à ChatGPT, "c’est un bel outil pour structurer sa réflexion", souligne Jérôme Kieffer. S’il est un véritable assistant, il ne remplace pas un deuxième cerveau ou une épaule solide. "Lutter contre la solitude requiert un effort et une exigence du quotidien", résume Jérôme Kieffer. Pour cette rentrée, le directeur de KPMG préconise de profiter de la période post-estivale pour essayer de conserver le recul pris pendant les vacances et adopter de bonnes résolutions. Partant ?

Olivia Vignaud

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