Il y a dix ans, Charles Darbonne prenait la suite de son père à la tête de Darégal, entreprise familiale depuis cinq générations, leader mondial dans la culture et la transformation d’herbes aromatiques. L’occasion de revenir sur une saga qui traverse l’histoire.
Charles Darbonne (Darégal) : "Nous nous appuyons sur les épaules de nos prédécesseurs pour aller plus loin"
Décideurs. Vous êtes le représentant de la cinquième génération à la tête de Darégal. Qu’a apporté chacun de vos prédécesseurs ?
Charles Darbonne. L’histoire commence en 1887, Amand Darbonne monte à Milly-la-Forêt une société spécialisée dans les herbes aromatiques et médicinales. En 1889, il crée le premier séchoir industriel à l’air libre. Une technique révolutionnaire dont on se sert encore. La deuxième génération est représentée par André, qui fait prospérer la société jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’il part au front, son fils Marc, âgé de 18 ans, en prend la tête. Au retour de son père, il est acté que Marc reste en poste tandis qu’André s’occupe de la sélection variétale. Marc partira aux États-Unis dont il ramènera les techniques industrielles pour les grands plans qu’il adaptera aux petits plants. Et ce, à une époque où, en France, le travail était encore manuel. Il développera aussi la culture en fonction des territoires et des saisons, en produisant en Espagne, en Pologne et aux États-Unis.
Vient ensuite le tour de votre père en 1982...
Oui, mais son plus grand apport date de 1976, année où il développe les herbes aromatiques surgelées à partir d’une technique qui était en train de voir le jour. Les plantes sont constituées à 90 % d’eau. Quand vous les déshydratez, la première chose qui part, c’est le goût, hormis chez celles qui ont des huiles essentielles. Tout à coup, on pratique notre vrai métier : on garde tout le goût du champ et on assure une constance dans la qualité.
Au-delà des innovations, qu’est-ce qui explique le succès de Darégal ?
Nous sommes à la fois agriculteurs, industriels et développeurs marketing. Nous allons de la création de la graine jusqu’au produit final qui va dans votre plat préparé. Être 100 % intégré nous donne une force incroyable. Cela nous permet d’être transparents. Ensuite, chaque génération a été une génération d’entrepreneur. Nous nous appuyons sur les épaules de nos prédécesseurs pour voir plus loin. Si mon père avait fait des investissements dans la marque plutôt que dans l’industriel, nous ne serions pas l’entreprise que nous sommes. En revanche, il n’aurait peut-être pas compris la notion d’envie que l’on développe avec le marketing.
"Je crois qu’il faut toujours répartir les résultats, comme suit : un tiers pour les investissements, un tiers pour les employés et un tiers pour les actionnaires"
Qu’est-ce qui diffère ?
Avant on achetait un produit pour sa qualité, maintenant on l’achète pour l’émotion qu’il procure. Nous fabriquons des produits qui ne vous nourrissent pas mais font tout votre plat. Nous vendons aussi des solutions. Par exemple, pour nos clients qui fabriquent du fromage, nous conseillons à ceux qui en distribuent en Angleterre d’ajouter du gingembre, en Allemagne ce sera plutôt du persil et de la ciboulette. On vend aussi des produits liquides, avec lesquels les clients peuvent faire plein de choses. On ne réfléchit plus au produit mais à ce que le client va faire avec.
Comme voyez-vous le fait d’être une entreprise familiale ?
On a la chance d’être indépendant et de très bien s’entendre. En découlent une vraie liberté et la possibilité d’agir selon nos valeurs. Je crois qu’il faut toujours répartir les résultats, comme suit : un tiers pour les investissements, un tiers pour les employés et un tiers pour les actionnaires. Je ne vois pas l’intérêt de se gaver. Si nous avions un fonds d’investissement au capital, je ne sais pas s’il partagerait cette vision. C’est pourtant une réelle force.
Avez-vous toujours voulu reprendre Darégal ?
Pas du tout. J’étais persuadé que je ne voulais pas du tout travailler comme mon père. Quand j’ai envisagé de monter une société, il m’a proposé de rejoindre le groupe. J’ai 44 ans, cela fait vingt ans que je suis chez Darégal. Je partirai à 65 ans, comme prévu dans les statuts. Si mon successeur est un de mes enfants ou de mes neveux, il devra notamment avoir effectué cinq ans à l’extérieur et être validé par le conseil de surveillance. Mais pour que la jeune génération soit intéressée, je suis convaincu qu’il faut que Darégal participe à la transition environnementale et sociétale, et devienne une entreprise à mission. Nous y travaillons.
Propos recueillis par Olivia Vignaud