Taittinger, la maison prend de la bouteille

Durant la Première Guerre mondiale, le jeune officier Pierre Taittinger est affecté à l’état-major du général de Castelnau, installé au Château de la Marquetterie. Alors qu’il cherche à s’établir dans la région dans les années 1930, il s’associe à son beau-frère qui lui propose de racheter une propriété au cœur des vignes de champagne. Coup du sort : il s’agit du Château de la Marquetterie. Touché par cet heureux hasard, il boucle l’investissement avant d’acquérir également l’une des plus anciennes maisons de champagne, Forest-Fourneaux. Davantage attiré par la politique que par les affaires, il délègue à son fils la gestion du vignoble. "François tombe amoureux du métier et porte, dès ses débuts, un regard neuf et conquérant sur le champagne qui lui permet de faire des choix visionnaires", raconte Vitalie Taittinger, présidente de l’entreprise.

Le jeune homme s’emploie à disposer d’un vignoble important. Il s’implante dans l’Aube, département champenois alors mal considéré. Il mise sur le chardonnay pour apporter de l’élégance à son champagne. Surtout, il décide d’apposer le nom Taittinger sur les bouteilles. "C’est un acte très fort, sur lequel nous nous appuyons encore aujourd’hui, explique Vitalie Taittinger. Cela fait de nous une maison éponyme. Nous sommes directement responsables de la qualité de nos champagnes aux yeux de tous." Pendant ce temps-là, un autre des frères, Jean, qui a participé à accroître les surfaces, poursuit son chemin en politique et devient notamment maire de Reims. 

Coups durs et renaissance 

En 1960, François meurt dans un accident. Son frère Claude prend la relève. Il apporte à la maison une dimension marketing. "Taittinger devient la première marque de champagne à faire des campagnes de publicité, à mêler l’art au produit, à aller à l’international." Claude est aussi l’homme de la rupture puisque, en 2005, il cède le groupe – composé alors également d’hôtels ou encore de la cristallerie Baccarat – à l’américain Starwood Capital. Son neveu, Pierre-Emmanuel, fils de Jean, qui travaille depuis 30 ans dans la maison, n’entend pas laisser le joyau partir. Avec l’aide du Crédit agricole, il rachète les activités de champagne. "Il les a reprises pour les transmettre, explicite Vitalie Taittinger. Si auparavant, Taittinger était un beau bateau qui naviguait dans une mer tranquille, il fallait désormais franchir des montagnes, respecter un business plan exigeant."

"Nous sommes une maison éponyme. Ce qui nous rend directement responsables de la qualité de nos champagnes aux yeux de tous"

Pierre-Emmanuel promeut une équipe jeune et lui donne des objectifs ambitieux : augmenter les volumes tout en préservant, voire en améliorant la qualité des produits et conquérir de nouveaux marchés. Convaincu que l’environnement va être un sujet, il prend des décisions radicales comme la non-utilisation d’herbicides. Côté marketing, pour maintenir sa place face à une concurrence qui joue de plus en plus avec les codes du luxe, il embrasse la tendance. 

Chacun son rôle 

En 2020, il cède les rênes à ses deux enfants : Vitalie et Clovis. "C’est à ce moment-là que la crise du Covid est arrivée. On peut dire qu’elle nous a permis de prendre tout de suite en main l’entreprise", se souvient Vitalie Taittinger. Une fois le navire hors d’eau, les descendants élaborent un nouveau plan : "Continuer à conquérir de nouveaux marchés, tout en respectant des valeurs d’humanité et d’excellence dans le respect de l’environnement." Ce qui passe notamment par une montée en gamme de l’expérience visiteur ou encore une amélioration de la performance RSE, un indispensable à l’heure du changement climatique et alors que les entreprises doivent prendre leur part sociale. 

Chacun a trouvé sa place. Vitalie, qui a fait des études d’art, agit en qualité de présidente. Clovis, diplômé en commerce et ancien directeur de l’export, occupe, lui, le poste de directeur général. En 2021, la société affiche un chiffre d’affaires de plus de 172 millions d’euros (contre 157 millions en 2019) et 7 millions de bouteilles vendues (6,7 millions en 2019). "La succession a été organisée en fonction de nos envies. Notre objectif, c’est de faire les choses avec une forme de légèreté et d’être heureux. C’est quand chacun trouve la place qui lui convient vraiment que la société, au sens large, fonctionne bien", poursuit Vitalie Taittinger. Une vision familiale qu’ils espèrent transmettre à leurs enfants qui reprendront peut-être un jour, s’ils le veulent, le flambeau.

Olivia Vignaud