L'ancien patron de Renault, à l'origine de l'alliance avec Nissan, sort de son silence et affirme avec force l'inutilité d'un changement de l'accord entre les deux groupes. Historique à l'appui.

Diplômé de l’École nationale d’administration, Louis Schweitzer fut directeur de cabinet du Premier ministre Laurent Fabius de 1984 à 1986. Entré ensuite chez Renault, il en devient le président-directeur général en 1992. À la tête du groupe automobile, il conclura notamment une alliance avec le constructeur japonais Nissan dont la firme française en tire encore aujourd’hui les fruits.

 

Décideurs. Vous avez orchestré en 1999 le rapprochement entre Renault et Nissan. Quels étaient les avantages du constructeur japonais, en difficulté financière, par rapport à d’autres partenaires potentiels ?

Louis Schweitzer. C’est sans doute, en partie, en raison des difficultés financières de Nissan qu’il fut possible de nouer cette alliance. Nous avions fait le constat que Renault était un constructeur bien implanté en Europe mais souffrait de son absence sur la scène internationale et notamment sur deux marchés essentiels : l’Asie et les États-Unis. Compte tenu des moyens qui étaient les nôtres, nous ne pouvions pénétrer ces marchés par croissance organique. J’ai donc envoyé une mission pour évaluer la faisabilité d’une alliance avec un constructeur coréen ou japonais présent aux États-Unis, aucune firme américaine n’étant à notre portée. Au fil des discussions, nous nous sommes focalisés sur deux acteurs japonais que sont Nissan et Mitsubishi. Nissan présentait toutefois l’avantage d’être bien mieux positionné sur le marché américain. La firme était déjà en discussion avec Ford et Daimler. Finalement, ces constructeurs ont abandonné leur projet d’alliance, jugeant le dossier bien trop risqué. Nous sommes donc devenus le seul candidat et l’accord a été conclu dans les quinze jours qui ont suivi.

 

Décideurs. Pourquoi avoir fait le choix d’une alliance plutôt que d’une fusion ou d’une acquisition ?

L. S. Il y avait à cela des raisons conjoncturelles. Nos ressources ne nous permettaient pas de faire l’acquisition d’une entreprise de l’envergure de Nissan qui, par ailleurs, n’était pas du tout candidat à ce type d’opération. Il y avait également des raisons structurelles. De l’expérience que j’ai pu acquérir, notamment sur le dossier Volvo, une fusion implique une extraordinaire proximité entre les deux entreprises. Or, avec Nissan il était à mon sens essentiel de bâtir un système où les deux partenaires pourraient travailler efficacement ensemble mais conserveraient leur personnalité propre et une part d’autonomie. Prenons la fusion entre Daimler et Chrysler : celle-ci a été échec car le nouvel ensemble ne recueillait pas l’adhésion de l’ensemble des salariés, ces derniers conservant le sentiment d’appartenance à leur firme d’origine. De même, la fusion entre deux entreprises françaises, comme Peugeot et Citroën, a pris des dizaines d’années avant de devenir pleinement efficace. Avec un constructeur japonais dont le siège est situé à 10 000 kilomètres de la France et avec une culture et une langue différente, une fusion aurait été vouée à l’échec.

 

Décideurs. À quoi attribuez-vous donc le succès de cette opération ?

L. S. L’alliance est un succès car les deux firmes coexistent. Les salariés des deux entités servent ainsi leurs propres intérêts. Dans une fusion, vous sacrifiez souvent une partie au tout. Dans une alliance vous ne sacrifiez jamais l’un à l’autre. Vous n’avancez que si les deux sont gagnants. Les questions de loyauté à l’entreprise sont fondamentales et servent les intérêts de l’alliance. A contrario, lors d’une fusion, la loyauté à l’entreprise va très souvent à l’encontre du rapprochement.

 

Décideurs. Les deux constructeurs automobiles sont encore aujourd’hui liés par des participations croisées: Renault détenant 43,4 % de Nissan, et ce dernier 15 % du français mais sans droit de vote. Eu égard à la puissance économique actuelle du constructeur japonais, le cadre de l’alliance ne mériterait-il pas d’être revu ?

L. S. La réponse est non ! Il convient de garder à l’esprit qu’au moment de la conclusion de cette alliance, Nissan était une entreprise d’une taille bien supérieure à celle de Renault. La firme japonaise est, par ailleurs, présente sur des marchés structurellement plus profitables que les marchés européens. Le fait que pendant quelques mois Nissan avait une valeur boursière inférieure à celle Renault était uniquement lié à des difficultés conjoncturelles et managériales. De plus, l’absence de droit de vote de Nissan est la résultante de l’interdiction par la législation française de l’autocontrôle. Dans l’accord initial, il était stipulé que Nissan deviendrait actionnaire de Renault afin que le groupe japonais ait un intérêt au succès de la firme au losange. Bien que Nissan n’ait pas le droit de vote, elle détient deux représentants au conseil d’administration de Renault. En pratique, il y a donc bien une réciprocité au niveau des instances dirigeantes, comme en témoigne la présence d’un directoire commun.

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

Pour aller plus loin : Renault-Nissan en panne d’accord avec l’État

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