Par Richard Renaudier et Marine Nossereau, avocats associés. Cabinet Renaudier
Les contrôles des concentrations français et communautaire sont focalisés sur les changements de contrôle et ne tiennent compte que marginalement des prises de participations minoritaires. La Commission est en phase de consultation pour étendre sa compétence au contrôle des prises de participations minoritaires.

Le droit des concentrations instaure un contrôle préalable des modifications structurelles des marchés résultant de changements de contrôle d’entreprises existantes, de fusions et de créations d’entreprises communes de plein exercice. Elles font l’objet d’un examen par la Commission européenne («?Commission?») ou l’Autorité de la concurrence («?ADLC?»), selon l’importance des groupes concernés. Les changements de contrôle d’entreprises préexistantes résultent soit d’une prise de participation majoritaire dans une entreprise conférant la majorité des droits de vote, soit d’une prise de participation minoritaire assortie de certains droits conférant à une entreprise le pouvoir d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une autre entreprise ; il s’agit de participations minoritaires dites contrôlantes.
Les liens structurels résultant de participations minoritaires non contrôlantes («?P.M.N.C.?») sont pris en compte dans l’analyse concurrentielle des dossiers de concentration, et la Commission a pu imposer des cessions de P.M.N.C. à titre de remèdes aux problèmes de concurrence d’une opération notifiée. Toutefois, la prise de P.M.N.C. elle-même n’est alors pas l’objet du contrôle.

Les P.M.N.C. entre concurrents ou partenaires modifient les comportements concurrentiels
Or, la pratique fait apparaître que les P.M.N.C. peuvent fausser la concurrence lorsqu’elles conduisent à favoriser une entreprise dans le cadre de relations d’achat-vente ou lorsqu’elles interviennent entre deux concurrents, soit par suppression de l’agressivité concurrentielle, soit au contraire par l’organisation de répliques définies grâce à un accès à l’information sur la stratégie d’un concurrent.
Certaines autorités de concurrence nationales européennes ont le pouvoir de contrôler les prises de P.M.N.C. dans le cadre du contrôle des concentrations. Au Royaume-Uni, les autorités peuvent se saisir de prises de P.M.N.C. (>15% du capital) dès lors qu’elles confèrent une material influence de l’actionnaire sur la cible ; en Autriche l’acquisition de 25?% du capital d’une autre entreprise déclenche la compétence de l’autorité de concurrence ; en Allemagne, la réunion de deux critères (au moins 25?% et une «?influence concurrentielle significative?») permet un contrôle. Ces exemples restent minoritaires en Europe ; ni la Commission ni l’ADLC n’ont compétence pour contrôler les prises de P.M.N.C. sur le fondement du droit des concentrations. En théorie, elles auraient la possibilité de se fonder sur le droit des ententes pour les analyser, le cas échéant, comme des accords anticoncurrentiels. Ce contrôle, contentieux et a posteriori, n’est toutefois pas adapté à la mission régulatrice des autorités de concurrence.
Deux exemples récents ont fait apparaître comme problématique l’impuissance de certaines autorités à imposer des remèdes à une situation de concurrence faussée du fait d’une prise de P.M.N.C.
À l’automne 2006, Ryanair lança une OPA hostile contre son concurrent Aer Lingus. Comme cela est permis lors d’une OPA, Aer Lingus acquit les actions disponibles sur le marché, avec interdiction d’exercer les droits de vote correspondant avant l’autorisation de la Commission. Or, le 27 juin 2007, la Commission estima que cette opération créerait une position dominante et l’interdit. Ryanair dut alors revendre les actions acquises au cours de l’OPA et qui lui auraient conféré un contrôle. Elle conserva une P.M.N.C. de 29?% et n’eut de cesse de demander l’autorisation d’acheter le solde des actions cotées, en 2009 et encore en 2013, ce que la Commission refusa. Devant le refus réitéré de la Commission européenne, Ryanair avait annoncé fin juillet?2013 qu’elle était prête à céder sa participation minoritaire dans Aer Lingus. De son côté, Aer Lingus demanda à la Commission d’obliger Ryanair à revendre toutes les actions acquises lors de l’OPA interdite. La Commission dut admettre qu’elle n’avait pas le pouvoir d’interdire une prise de P.M.N.C. dans ce cas. Aer Lingus a alors mené au Royaume-Uni une bataille juridique tendant à faire déclarer anticoncurrentielle la P.M.N.C. de Ryanair car elle lui donnait accès à des informations stratégiques d’Aer Lingus. Finalement, par une décision du 28?août 2013, la Competition Commission a imposé à Ryanair d’abaisser sa participation à 5?% du capital d’Aer Lingus et lui interdit d’avoir tout poste d’administrateur.
En France, un autre exemple a été récemment fourni par la prise de P.M.N.C. de LVMH dans Hermès ; l’ADLC et le droit des concentrations ne furent d’aucun secours à Hermès, qui ne put que s’appuyer sur le droit boursier et le droit des sociétés pour contrer l’offensive de son concurrent.

La Commission européenne souhaite se doter du pouvoir de contrôler les prises de P.M.N.C.

C’est pourquoi la Commission a mené une réflexion importante, dont l’aboutissement sera déterminant car il provoquera probablement une harmonisation des règles nationales, l’ADLC s’étant déjà montrée favorable à un élargissement de sa compétence. En 2011, la Commission a commandé une étude recensant les P.M.N.C. en Europe pour analyser l’impact sur la concurrence des liens structurels ainsi créés, que les entreprises soient concurrentes ou dans une relation verticale. Le 20?juin 2013, elle a publié un rapport sur le fonctionnement des contrôles existants, ainsi que sur les justifications économiques du contrôle des P.M.N.C. et a lancé une consultation publique de trois mois sur la révision du règlement relatif au contrôle des concentrations afin qu’il prévoie un contrôle des prises de P.M.N.C.
Si le principe de l’extension du contrôle est acquis, les modalités restent incertaines tant en ce qui concerne l’existence d’un seuil de détention qui déclencherait le contrôle (et dans l’affirmative, le niveau de ce seuil) qu’en ce qui concerne le caractère préalable ou a posteriori de ce contrôle. Dans ce dernier cas, le contrôle serait à l’initiative de la Commission, qui pourrait être alertée sur la base d’une déclaration systématique des P.M.N.C. publiée sur le site de la Commission. Ne seraient alors instruites que les affaires dans lesquelles la création du lien structurel par une P.M.N.C. entre concurrents ou partenaires poserait un problème de concurrence.
La question du bon équilibre entre le besoin de régulation identifié et de sécurité juridique, sans imposer aux entreprises des charges excessives, est désormais au centre du travail mené par la Commission.

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