Xerox-HP : de l’union naturelle au mariage forcé
Les difficultés de Xerox résistent à la restructuration
Pionnier du secteur de l’impression et fleuron de la tech américaine, Xerox, entreprise centenaire, est en grande difficulté depuis la fin des années 1990. Pour faire face à la concurrence accrue des nouveaux entrants, son PDG Richard Thoman se lance dans le service de leasing d’imprimantes personnalisées et haut de gamme aux entreprises et supprime dans le même temps 10 000 postes, surtout en production. Après un pic boursier en 1998, la brutalité du changement stratégique conduit à l’effondrement des ventes et de la valorisation. En 2001, Anne Mulcahy prend la tête du groupe et lance un plan de restructuration, cède nombre d’actifs, dont le PARC (Palo Alto Research Center), premier laboratoire de recherche de la Silicon Valley dans les années 1960. Même si elle réussit à redresser la situation, elle continue de tailler dans les effectifs, du fait du déclin structurel du marché de l’impression. En 2009, Xerox fait même l’acquisition d’Affiliated Computer Services, pour 6,4 milliards de dollars. L’entreprise s’oriente vers l’externalisation des processus métiers, y compris l’impression. Mais les revenus des services ne compensent pas les pertes de son activité de vente d’imprimantes.
Les activistes empêchent son union avec FujiFilm…
Carl Icahn et Darwin Deason, deux actionnaires activistes, s’intéressent de près aux difficultés que rencontre Xerox et entrent à son capital, poussant l’entreprise à séparer ses activités de services de celles des équipements. Son concurrent nippon, Fujifilm, décide alors de le racheter, mais les activistes jugent l’offre insuffisante et poussent à la destitution de Jeff Jacobson, alors PDG de la société. L’opération est suspendue et en 2018, après deux ans de procédures judiciaires, Fujifilm renonce aux dommages et intérêts mais récupère les 25 % détenus par Xerox dans une joint-venture lancée en 1962. Icahn et Deason mettent donc fin à près d’un demi-siècle de collaboration entre les deux groupes.
… pour organiser son mariage avec HP
Quelques heures à peine après avoir reçu son chèque de 2,3 milliards de dollars contre sa participation dans Fuji-Xerox, l’américain avouait au « Wall Street Journal » réfléchir à une offre de rachat de son compatriote HP, pour 27 milliards de dollars. Des sources proches estiment que les deux entreprises peuvent chacune réaliser 2 milliards de dollars d’économie. HP vise le haut de gamme sur lequel se positionne Xerox et celui-ci voudrait, à l’inverse, relancer son activité d’imprimantes personnelles. Les synergies sont incontestables sur ce marché en déclin où la consolidation se généralise. Une stratégie qui s’explique aussi puisque Carl Icahn, déjà actionnaire de Xerox à hauteur de 10,6 % du capital, est aussi détenteur de 4,24 % d'HP.
En position de force, HP se laisse courtiser
Cette première offre qui aurait pu inverser le rapport de force, soulève un problème structurel majeur. Si la valorisation boursière de Xerox, de 8,48 milliards de dollars, est trois fois inférieure à celle de HP (29 milliards de dollars), cela implique que la part de la dette dans le financement de cette acquisition aurait lourdement pesé sur le bilan consolidé du groupe. HP, qui peut réaliser l’acquisition en fonds propres, est déjà diversifié alors que Xerox n’entend strictement rien à l’activité ordinateur, qui représente 65 % du chiffre d’affaires de son concurrent. Hewlett-Packard a donc rejeté cette première offre, puis la suivante de 33 milliards de dollars. En représailles, son concurrent l’a menacé d’une OPA hostile. Xerox affirme également avoir rencontré « parfois à plusieurs reprises, un grand nombre des plus importants actionnaires de HP », qui auraient exprimé leur soutien à la proposition de mariage. Cette déclaration est un ultimatum lancé à HP avant l’option d’un rachat direct de leurs parts du groupe à ses actionnaires. En outre, Xerox a annoncé, le 6 janvier, pouvoir bénéficier d’un emprunt de 24 milliards de dollars auprès de Citi, Mizuho et Bank of America. Cet accord infirme les théories qui présentaient cette offre comme une suggestion de rapprochement avec HP, peu importe que ce dernier doive au final se positionner en tant qu’acheteur.
Dot en hausse, mariage forcé
Face aux réticences de HP, Xerox a relevé, lundi 10 février, son offre de 22 à 24 dollars par action, valorisant l’entreprise à 36 milliards de dollars. En réponse, Enrique Lopes, actuel PDG de HP, déclarait au Financial Times qu’il « est évident que la proposition révisée sous-évalue significativement HP », mais que « nous sommes prêts à nous engager avec eux ». Tout en lançant un programme de rachat de 15 milliards de dollars d’actions, HP met en place un dispositif anti-OPA, une poison pill qui prévoit d'accroître les droits de vote et les dividendes des actionnaires en cas de montée au capital d'un acteur extérieur à hauteur d'au moins 20 %. Une mesure qui « encourage Xerox […] à négocier avec le board ». Pour autant, ce dernier a lancé son OPA et les actionnaires de HP ont jusqu’au 21 avril pour apporter leurs titres à cette opération, ce que le board de HP leur déconseille fortement.
Si quelqu’un s’oppose à cette union qu’il parle maintenant ou se taise à jamais…
Contre attente, si Xerox devait prendre le contrôle de HP, Canon menace désormais de cesser de lui fournir les composants nécessaires à la production de ses imprimantes jet d’encre, car « le fondement de ce partenariat repose avant tout sur une relation de confiance entre les directions des deux sociétés », selon son PDG Fujio Mitarai. En tout cas, la naissance d’un tel groupe accroîtrait considérablement la concurrence directe pour Canon.
Baptiste Delcambre