Après sept ans à la tête de la compliance et du contrôle interne d’Axa Private Equity, Karine Demonet rejoint Bpifrance fin 2013, soit un an après la création de la banque publique d’investissement. Dès son arrivée, elle crée une équipe conformité et harmonise les procédures entre les pôles financement et investissement. Elle revient pour Décideurs sur son grand dossier du moment : l’Iran.

Décideurs. Comment sensibilisez-vous les collaborateurs à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCBFT) ?

Karine Demonet. J’anime avec mon équipe des formations pour tous les collaborateurs du groupe. Nous communiquons les informations réglementaires en attirant l’attention sur le coût de la non-conformité. Nous expliquons que leur responsabilité individuelle pourrait être recherchée en cas d’infractions volontaires de leur part aux règles définies. Et surtout, nous présentons nos obligations de manière simple : nous sommes en quelque sorte pour eux des « décodeurs ». Nous prenons des exemples concrets pour démontrer l’importance d’intervenir dans un cadre conforme. Nous captons rapidement l’attention de l’auditoire qui pose de nombreuses questions. En effet, les textes ne sont pas toujours simples, ni adaptés à nos différentes activités, ce qui rend leur application concrète compliquée pour les opérationnels. Le travail de la conformité, et en particulier du directeur de la conformité, est donc de traduire ces obligations de manière opérationnelle pour les collaborateurs dans leur travail au quotidien.

Malgré ces formations, avez-vous déjà été confrontée à des dérives ?

Non. Depuis la création de Bpifrance notre dispositif a été remis à plat et des outils ont été déployés. Ce travail a été suivi d’actions de sensibilisation d’envergure et de formation des opérationnels. Cela s’est notamment traduit concrètement par un nombre de déclarations de soupçons qui a alors grimpé. Non pas parce que nos clients présentent plus de risques qu’auparavant mais parce notre dispositif est plus efficace et opérationnel. À présent, les dossiers à risques les plus élevés nous remontent afin que nous puissions les contre-analyser et donner notre feu vert. S’il y a débat, l’arbitrage se fait au plus haut niveau.

La loi Sapin 2 a-t-elle changé vos manières de procéder ?

La loi Sapin 2 impose de nouvelles obligations, qui ont nécessairement des impacts. Ainsi, si nous avions établi une cartographie des risques LCBFT depuis de nombreuses années, nous n’avions pas de cartographie dédiée spécifiquement aux risques de corruption, ce à quoi nous avons remédié. Par ailleurs, si nous faisions des diligences assez poussées avant d’entrer en relation avec nos clients, de telles diligences ne concernaient pas nos fournisseurs. Le « Know Your Supplier » (KYS) est l’une des principales nouveautés. Nous allons former les acheteurs de prestations aux nouvelles obligations issues de la Loi Sapin II notamment pour collecter de nouvelles informations indispensables pour chaque fournisseur avec lequel ils souhaitent contractualiser. La question du partage de ces informations au sein du groupe est clé.

Bpifrance envisage d’aider les entreprises à exporter en Iran dès 2018. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans ce projet ?

Bon nombre de grandes banques françaises ont déjà rencontré des difficultés avec les États-Unis au sujet de l’Iran ou d’autres pays sous sanctions américaines. Elles ont donc fait ouvertement le choix de ne pas aller sur ce marché. Ainsi, l’État français a demandé à Bpifrance de travailler sur ce projet, l’objectif étant de combler cette faille de marché qui a des impacts structurants pour nos exportateurs français. Il s’agit d’un projet ambitieux qui a des impacts sur de nombreux sujets : la manière de réaliser des opérations, de les financer, de les comptabiliser, de les suivre dans nos systèmes d’information et bien sûr de veiller à ce qu’ils soient réalisés dans le strict respect de la réglementation applicable. C’est la raison pour laquelle ma Direction est pilote de ce projet à la demande de Nicolas Dufourcq, Directeur Général de Bpifrance.

« L’Iran est toujours sur la liste noire du groupe d’actions financières »

Financer des opérations en Iran relève du parcours du combattant… Nous travaillons sur le projet Iran depuis plus d’un an. Durant les six premiers mois, nous avons étudié en priorité les contraintes de conformité afin de « designer » un dispositif pour pourvoir réaliser de telles opérations dans le strict respect de la réglementation applicable. Cette phase intense d’analyses et de réflexions nous a permis de conclure que financer des projets en Iran était faisable. Ce projet a donc été présenté aux instances de gouvernance en mars 2017 qui nous ont donné leur accord de principe pour la poursuite des travaux. Nous travaillons depuis à rendre ce dispositif opérationnel en définissant concrètement les modalités des opérations et chaque brique nécessaire à la maitrise du risque de non-conformité. C’est notre objectif pour mars 2018.

À quelles difficultés de conformité êtes-vous confrontée sur ce projet ?

L’Iran est toujours sur la liste noire du groupe d’actions financières (Gafi). Nous allons donc réaliser des diligences renforcées et anticipons des difficultés pour identifier les bénéficiaires effectifs des acheteurs iraniens (afin notamment de nous assurer qu’ils n’ont aucun lien avec les gardiens de la révolution islamique ou des personnes listées). Il y aura donc des dossiers que nous ne pourrons pas financer. Par ailleurs, nous avons également pris attache auprès de l’Office of Foreign Assets Control (Ofac) à Washington afin de leur présenter notre dispositif et de veiller à l’absence de critères de rattachement à la réglementation de sanctions primaire américaine. Enfin, nous avons profité de ce projet pour revoir intégralement le dispositif de conformité sur notre activité de crédit-export. Ainsi, tout dossier iranien fera non seulement l’objet de diligences renforcées (approche par les risques) mais également d’une revue renforcée préalable obligatoire de la direction de la conformité. En octobre dernier, une délégation Bpifrance, s’est rendue à Téhéran afin d’initier les démarches visant à définir les modalités juridiques de notre projet. Nous en avons ainsi profité pour débuter nos due diligences sur les dispositifs de conformité de plusieurs banques locales pour établir la liste de celles avec lesquelles nous envisageons de travailler.

 

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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