Une conjoncture morose, des marchés chancelants, le géant Deezer qui bat en retraite boursière, des médias chauffés à blanc... Ce vendredi 30 octobre, le groupe français de déstockage en ligne Showroomprivé.com a réussi un tour de force en misant contre les cotes. Après avoir perdu un peu moins de 10 %, le titre de l’entreprise fondée par David Dayan et Thierry Petit affichait ce matin + 4 % à la Bourse de Paris. Au-delà de la vague de pessimisme médiatique, l’e-déstockeur européen a bien tiré son épingle du jeu démontrant que le risque et l’audace paient comptant. Retour sur les coulisses d’une opération financière sous haute surveillance.

Il a mis une cravate pour l’occasion. Pas Emmanuel Macron, mais Thierry Petit : « Ma mère m’a dit de m’habiller correctement, lâche le co-fondateur de Showroomprivé pour taquiner le ministre de l’Économie. Si j’avais su que vous viendriez sans cravate, j’en aurais fait de même. » Ce matin, l’ambiance est bon enfant au septième étage de la tour en verre qui abrite la Bourse de Paris. Euphoriques, les collaborateurs du groupe français de déstockage en ligne côtoient les banquiers, les avocats et autres conseils de l’opération. Sébastien Proto, l’associé-gérant de la banque Rothschild dont on dit qu’il est proche de Nicolas Sarkozy, claque la bise à Emmanuel Macron, son ancien compagnon à l’inspection des finances. Les deux hommes, qui s’apprécient, ne s’étaient pas croisés depuis quatre ans. Ce vendredi 30 octobre les voilà réunis pour célébrer « un bel exemple d’entrepreneuriat à la française », selon les mots du ministre dont la présence n’a pas manqué d’attirer un troupeau de journalistes déchaînés.

 

Il faut dire que depuis 2006, pas une IPO d’une telle envergure n’est à déclarer sur la place parisienne dans le secteur de l’Internet. À écouter, Éric Forest, le PDG d’Enternext*, l’année 2015 marque un tournant. « Il y a un momentum très fort à Paris », confirme-t-il. Depuis le mois de janvier, l’opérateur boursier a en effet accueilli près d’une vingtaine de sociétés du numérique sur ses marchés, où 330 valeurs technologiques sont déjà cotées. « Il y a cinq ans lorsqu’une start-up voulait conquérir le monde, elle devait quitter la France. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas », se réjouit Thierry Petit avant de glisser l’air de ne pas y toucher au ministre debout à ses côtés : « Dans le secteur du digital, on attend des mesures prises qu’elles soient encore plus énergiques. » À bon entendeur.

 

Loin d’être un hasard, la présence d’Emmanuel Macron a aujourd’hui valeur de symbole. « Célébrer les entrepreneurs qui réussissent, c’est reconnaître qu’ils ont pris des risques. Et il n’y a pas de réussite sans risque », scande le ministre.  Dans un contexte hostile où la concurrence fait rage, Showroomprivé s’est démarqué avec brio du géant français Vente-privée.com et du mastodonte américain Amazon.

 

Rendre à l’écosystème ce qui leur a été donné

D’abord, l’entreprise est rentable. Installée dans neuf pays européens, elle affiche une croissance insolente. En 2014, elle a dégagé un résultat brut d’exploitation de quinze millions d’euros et un résultat net de 5,87 millions pour un chiffre d’affaires net de près de 350 millions d’euros, en croissance de 36 %. Le numéro deux français du déstockage a fait de l’innovation son cheval de bataille. Conserver un coup d’avance relève presque de l’obsession. Au cœur de l’été, la start-up a créé sa propre marque de vêtement baptisée : #Collection IRL pour Fashion for Women In Real Life. Les femmes restent en effet le cœur de cible du site. Parmi les vingt millions de clients européens, elles représentent 70 %.

 

Ensuite, les dirigeants ont eu très tôt des visées internationales. C’est l’ADN de cette start-up autofinancée qui a su attirer des fonds étrangers aussi prestigieux qu’Accel partners – qui a investi 37 millions d’euros en 2010 – et un pool d’une dizaine d’investisseurs individuels du Moyen Orient qui a acquis 10 % du capital en mars dernier pour un ticket global à soixante millions d’euros. « C’est important de prendre conscience qu’il y a en France des entreprises qui parviennent à se développer et à attirer des investisseurs français et étrangers », persiste et signe David Dayan. Ce vendredi 30 octobre, c’est le chinois Vipshop Holdings, un des leaders mondiaux de la vente privée coté à New York, qui est entré au capital du e-déstockeur européen à hauteur de 4,7 %. « C’est une belle marque de confiance », se félicite Thierry Petit qui pourrait très prochainement ouvrir le marché asiatique sous la houlette de ce nouvel actionnaire. À noter que la famille des fondateurs et M. Petit conservent suite à cette opération plus de 43 % du capital et 56,9 % des droits de vote.

 

L’autre manie du duo Petit-Dayan, c’est rendre à l’écosystème ce qui leur a été donné. Résultat, en juin dernier sous le haut patronage d’Axelle Lemaire, la Secrétaire d’Etat chargée du Numérique, Showroomprivé a lancé Look Forward, son incubateur dédié à la mode. Cinq entreprises y sont déjà installées depuis septembre dernier. Parmi elles, Igloo, la start-up qui offre l’expérience de l’essayage de vêtement à domicile ; ou encore Dresswing, la jeune pousse spécialisée dans la location de vêtements haut de gamme entre particuliers. L’objectif affiché par Thierry Petit, estampillé quinzième business angels français selon le classement 2015 établi par Fundme, est de « permettre aux jeunes de sauter le pas de l’entrepreneuriat ». Lui qui a enjambé un certain nombre d’obstacles sait de quoi il retourne. « Rien n’était écrit, insiste M. Macron. Si on vous avez dit il y a dix ans que vous vous retrouveriez ici aujourd’hui, je ne suis pas persuadé que vous y auriez cru. »

 

Une histoire qui commence par un héritage

La success-story de Showroomprivé prend ses racines dans une rencontre. Celle de Thierry Petit, prodige du digital multimillionnaire à 27 ans, et des frères Dayan, propriétaires de France Export, une entreprise de déstockage créée dans les années 1980 et implantée au cœur de la plaine Saint-Denis. « C’est une belle histoire qui a commencé il y a neuf ans par un bel héritage », raconte ému Thierry Petit qui remercie Sam Dayan, le patriarche, de l’avoir toujours considéré comme son quatrième fils. Le vieil homme ne cache pas sa fierté : « C’est un grand jour, glisse-t-il. Je veux absolument faire une photo avec le ministre ! » L’enthousiasme affiché est à l’image du chemin parcouru : admirable.

Au cours des sept dernières années, ce sont plus de 1 200 emplois qui ont été créés. « Nous sommes fiers d’avoir pu contribuer modestement au développement de l’économie française. C’est ce en quoi nous croyons et qui a fait que nous avons voulu nous coter ici à Paris », assure M. Petit qui a failli sonner la cloche trop tôt.

 

À neuf heures précises dans le petit salon d’Euronext, les confettis roses ont jailli au rythme des applaudissements et des « Bravo » criés à la volée. Réalisée au prix de 19,50 euros par action, cette opération, qui représente 35 % du capital, a permis à Showroomprivé de lever 226 millions d’euros (jusqu’à 260 millions d’euros en cas d’exercice intégral de l’option de surallocation). Le site de ventes en ligne est désormais valorisé à 660 millions d’euros, un montant supérieur à la valorisation de 625 millions d’euros attribuée suite à la levée de fonds orchestrée en mars dernier. De l’argent frais dont la vocation est de soutenir les nouveaux chantiers développés tous azimuts sous la houlette du nouveau directeur financier, Nicolas Woussen, recruté au premier trimestre 2015. Formé chez PAI Partners, l’homme a introduit au Nasdaq la société Cnova, qui regroupe les enseignes d’e-commerce de Casino dans le monde. Fin connaisseur des problématiques du secteur, il pourrait préparer dans un futur proche des opérations de croissance externe significatives. Si l’objectif affiché par Showroomprivé est de doubler son activité à l’horizon 2018 pour atteindre un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros, l’ambition se concentre surtout sur le développement à l’international.

 

En découdre avec le tabou du fiasco

« Vous auriez pu échouer, tempère M. Macron. Et vous échouerez peut-être. Mais ce n’est pas grave parce que vous aurez créé des emplois : vous aurez fait bouger les lignes ». Massée devant l’estrade, l’assemblée se gausse de l’audace de ce ministre prêt à en découdre avec le tabou du fiasco. Et M. Macron d’asséner : « En France, nous avons trop peur de l’échec. Nous croyons disposer d’un droit à faire sans risquer : ce n’est pas vrai. » Des risques, les fondateurs de Showroomprivé en ont pris. Et cela a fini par payer. « L’économie ce ne sont pas des chiffres mis bout à bout : c’est le fruit de dynamiques humaines qui associées les unes aux autres contribuent au succès entrepreneurial », poursuit M. Macron. Des paroles prononcées par le ministre qui se font l’écho des mesures récemment mises en place grâce à la loi qui porte son nom et qui a permis au numéro deux français du déstockage de rendre l’ensemble de ses collaborateurs actionnaires de l’entreprise. « Nous voulions partager cette réussite avec nos salariés », confirme M. Petit. Un indicateur de confiance en l’avenir. 

 

Pourtant, à lire les gros titres de la presse, il semble que les médias Français aient une fois de plus préféré se mettre en ordre de bataille pour « basher » plutôt que pour célébrer un succès entrepreneurial français bien trop rare. Quand Le Figaro établit un rapport de cause à effet tiré par les cheveux :« Macron a-t-il porté la poisse à Showroomprivé ? », L’Expansion se risque à titrer pour la forme plus que sur le fond : « Entrée en Bourse au rabais ». De La Tribune en passant par Challenges et Les Échos, - « Les premiers pas en Bourse sont catastrophiques », « Des premiers pas difficiles à la Bourse », « Après Deezer la fête tourne court pour Showroomprivé » - l’heure est apparemment davantage à la mauvaise surenchère lexicale qu’à l’analyse financière pragmatique.

Certes, l’action a légèrement dévissé passant de 19,50 euros à 16,85 euros. Mais il n’est pas vain de rappeler que l'avenir d'une entreprise se lit rarement dans les premiers jours de sa cotation en Bourse. Et les exemples sont légion. Annoncée comme l'IPO du siècle, l'entrée de Facebook en 2012 au Nasdaq a été décrite comme un fiasco. Le prix du titre fixé à trente-huit dollars a chuté de près de 30 % dans les jours qui ont suivi. Et il a fallu attendre plus d’un an pour que ce dernier retrouve son niveau d’introduction en Bourse. Aujourd’hui, le cours de l’action caracole au-dessus de cent dollars. De quoi miser sur la success story orchestrée avec patience depuis une décennie par les fondateurs de Showroomprivé, bien loin des éphémères supputations médiatiques.

 

Émilie Vidaud (Envoyée spéciale)

 

*Enternext est la filiale dédiée aux financements des PME d’Euronext

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