Entretien avec Bertrand Chokrane, président de Bertrand Chokrane Consulting.
Décideurs. La méthode de calcul utilisée pour évaluer la dette publique française est-elle correcte ?
Bertrand Chokrane. Le chiffre qui porte la dette publique française à 95,1 % du produit intérieur brut (PIB) n’a pas de sens. Il compare le montant de la dette, un stock, au flux des revenus de l’État. En réalité, le taux d’endettement de la France s’élève à 66 % du PIB. Ce chiffre représente la part des revenus de l’emprunteur consacrée au remboursement des créanciers. Il est obtenu en divisant les annuités et le service de la dette – soit environ 150 milliards d’euros – par le montant du PIB en 2014.

Décideurs. Avec un tel niveau d’endettement, la France aura-t-elle toujours accès aux marchés de capitaux ?
B. C.
À partir du moment où les banquiers sont capables de transformer de la dette pour générer du revenu, la France peut émettre des obligations. Même si le pays ne remboursait pas ses créanciers, il serait toujours en mesure de se financer sur les marchés.

Décideurs. L’État français est-il encore capable de maîtriser la croissance de la dette ?
B. C.
Depuis le début de la Ve République, les gouvernements successifs ne sont pas parvenus à contrôler la dette. L’absence de réforme se solde par un déficit de 4,4 % du PIB et une dette publique de 2 000 milliards d’euros. Aujourd’hui, la France traverse une crise systémique. Selon moi, il est trop tard pour engager des réformes.

Décideurs. Une restructuration de la dette française permettrait-elle de sortir de l’impasse ?
B. C.
C’est la seule option envisagée par les créanciers de la France. Selon moi, la France doit faire cessation de paiement. Si l’État n’engage pas les réformes nécessaires, le pays court le risque d’être mis sous tutelle par le Fonds monétaire international. Il faut tirer les enseignements de la restructuration de la dette grecque en 2010 : un défaut de paiement est une solution plausible.

Décideurs. Qui pourrait redresser l’économie en 2017 ?
B. C
. Aujourd’hui, personne ne peut deviner qui prendra la suite de François Hollande dans trois ans. Selon moi, il faut chercher un homme fort en dehors des partis politiques traditionnels. Par exemple, l'Italie est sortie de la récession en faisant appel à un commissaire européen. Mario Monti a été nommé à la tête du pays en 2011. Un scénario semblable est envisageable pour la France en 2017.

Décideurs. Que pensez-vous des propositions de réduction des dépenses publiques émises par François Fillon, Hervé Mariton ou Nicolas Sarkozy ?
B. C.
François Fillon propose par exemple de revoir le fonctionnement de l’État Providence en supprimant 600 000 postes de fonctionnaires. En pratique, une telle réduction des effectifs de la fonction publique ne pourrait être acceptée. De son côté, Hervé Mariton pointe du doigt l’inefficacité du système de sécurité sociale. Ses critiques sont infondées : ce sont les prélèvements de l’État sur les caisses d’assurance qui les rendent en apparence déficitaires. Parmi les débats actuels figure en tête de liste la réforme des retraites. Reculer l’âge légal de 62 ans à 63 ans comme le suggère Nicolas Sarkozy ne résorberait pas non plus le déficit de la caisse d’assurance vieillesse. Aujourd’hui, la préretraite est largement utilisée par les entreprises pour mettre à l’écart les salariés de plus de 50 ans. Pour qu’une telle mesure soit efficace, il faudrait changer la mentalité des dirigeants afin qu’ils conservent les seniors plus longtemps au sein de leurs équipes.

Décideurs. Quelles sont vos propositions de réformes ?
B. C.
Il faut faire des économies. Tout d’abord, réduire les revenus des hauts fonctionnaires générerait dix-sept milliards d’euros. Actuellement, le salaire médian des fonctionnaires de catégorie A’ s’élève à 7 600 euros net par mois. Il faudrait diviser leur traitement par deux et baisser proportionnellement leur temps de travail. Parmi les solutions, citons également le plafonnement des allocations chômage à deux mille euros et la limitation de leur versement dans le temps à deux ans. Dans l’hypothèse où la France serait mise sous tutelle de ses créanciers, un gel des avoirs pourrait être imposé comme à Chypre au printemps 2013.

Décideurs. Les politiques de relance de l’économie vous paraissent-elles crédibles ?
B. C.
Les plans de relance n’ont jamais fonctionné. Le New Deal imaginé par Franklin Roosevelt pour relancer l’économie américaine dans les années 1930 a été un échec. Seule la Seconde Guerre mondiale a permis la reprise économique. L’exemple des États-Unis aujourd’hui prouve l’inefficacité des politiques keynésiennes. En 2008, la Banque centrale américaine a injecté 3 000 milliards de dollars dans l’économie américaine. Cinq ans plus tard, le niveau de l’emploi dépasse à peine de 0,77 point celui de 2008. La valeur des logements neufs n’a pas non plus retrouvé ses niveaux d'avant-crise. Elle n'a jamais été aussi basse depuis les années 1980. L’indice boursier Case-Shiller, mesurant la valeur nominale du marché de l’immobilier neuf aux États-Unis, est reparti à la hausse, mais il est aujourd’hui fixé à 504, contre plus de 1 200 avant la crise.


Décideurs. Quels sont les leviers de la croissance de demain ?
B. C.
Pour relancer l’économie française, il faut à tout prix rendre le pays attractif. Les investissements directs à l’étranger (IDE) comme ceux du conglomérat Fosun dans le Club Med ou l’entrée de la société Dongfeng au capital de PSA sont un excellent levier de croissance. Malheureusement, rien n’est fait pour attirer ces investissements en France, notamment dans les entreprises publiques comme l’illustre l’affaire du rachat des actifs d’Alstom en 2014.

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