L'offensif président du Medef est aussi le président d'un groupe en pleine croissance, Radiall. Interview.
Décideurs. Quelles ont été les clés du succès international pour Radiall ?
Pierre Gattaz. D’abord, un succès repose sur des équipes motivées et compétentes, que je tiens à saluer. Ensuite, l’exportation est fondamentale dans la réussite d’une entreprise française comme Radiall. Il est impossible de survivre sans une vision internationale intégrée très tôt. Pour exporter, il faut innover, et innover dans la continuité. Exporter et internationaliser exige aussi l’excellence opérationnelle, la maîtrise de ses processus étant la clé du succès pour survivre et croître en séduisant les clients les plus exigeants de la planète.
L’européanisation de Radiall a été menée par ses deux fondateurs, mon père Yvon Gattaz et son frère, Lucien, dès la dixième année de la société, avec une acquisition en Angleterre. Quand, en 1992, je prends la direction de la société, mon rôle va être de faire de la société un acteur majeur aux États-Unis, puis en Asie. En mai?1995, Radiall acquiert l’entreprise Jerrik, puis continue son expansion en faisant l’acquisition de Larsen. La première sera un succès, la seconde un échec maîtrisé.
Ensuite, nous avons installé Radiall en Asie, d’abord en Inde, à Bangalore, puis Radiall Shanghai signe officiellement l’entrée du groupe en Chine en 1997.
Aujourd’hui, le chiffre d’affaires international représente 85?% des ventes du groupe, en hausse de 13,2?%, avec un bon équilibre USA, Asie, Europe.

Décideurs. Pourquoi consacrer de 7?% à 8?% du chiffre d’affaires de Radiall à l’innovation et au design ?
P. G. Quand on a l’ambition d’être un leader, on se doit d’être international, de séduire les clients les plus exigeants, et pour ce faire, d’innover perpétuellement. L’innovation c’est aussi bien la science des matériaux, le product-design, que le numérique et les technologies.
Le marché français est trop petit pour porter l’effort de R&D : il faut donc s’internationaliser. C’est ainsi que Radiall est devenu un fournisseur stratégique de Boeing avec le prix du meilleur fournisseur parmi 10 000 entreprises en 2005, qu’il a conquis des clients aussi exigeants que Panasonic au Japon ou plus récemment des équipementiers télécoms chinois, tels que ZTE ou Huawei.

Décideurs. Comment faire face aux crises ? Comment avez-vous affronté les trois crises qu’a connues Radiall et réussi à en sortir toujours plus fort ?
P. G. Il faut rester sainement paranoïaque. Le boom d’un marché est souvent suivi d’une dépression qui peut être vertigineuse. Nous avons vécu trois crises, survécu trois fois.
La pire fut l’après «?bulle internet?», en 2001 : certains géants des télécoms, centenaires, comme Nortel ou Motorola, deux de nos grands clients, ont fait faillite. Nous devions donc réagir face à la crise qui emportait nos commandes, mais même nos principaux clients.
En 2002-2003, nous avons perdu 40?% du chiffre d’affaires. Il a fallu revoir complètement l’organisation des équipes en passant par une restructuration profonde de l’entreprise. Ce fut un épisode complexe, surtout que la règle d’or en matière de politique sociale est de tout faire pour conserver nos équipes. À l’époque, un plan social a pourtant dû être mis en place. Nous avons réussi à limiter sa taille en mettant en œuvre une mutation interne des postes. Affronter une crise comme celle de 2001 est un «?cauchemar absolu?» ; en tant que chef d’entreprise, on n’en dort pas la nuit, on se remet en cause, on questionne sa stratégie, même quand c’est le marché qui est en cause…

Cependant, ces crises peuvent être salvatrices si elles permettent de mettre en évidence certaines fragilités du positionnement. Il faut garder les équipes extrêmement motivées, et toujours entretenir sa paranoïa, se dire que les marchés ne sont pas éternels. De plus, il faut diversifier son offre et ses débouchés.
Enfin, l’autre clé de succès était d’avoir la maîtrise de nos financements. Nous avons toujours eu, et visé, un endettement proche de zéro, malgré les tentations (acquisitions, banques, managers…). Cela nous donnera plus de sérénité pour les crises futures.
Il faut aussi comprendre que toutes les entreprises sont des animaux vivants, potentiellement mortels, et que cela implique que l’employabilité doit être une grande cause de chaque entreprise.

Décideurs. Comment cultivez-vous vos process d’innovation ?
P. G. Pour innover, il faut cultiver une intimité avec le client. Cette intimité met du temps à se construire et doit nous rapprocher de ses grands projets à lui. Ce qui exige patience, innovation et sens de la relation.
Ainsi, Boeing a mis trois ans à nous sélectionner puis deux ans supplémentaires avant de nous passer sa première commande. Mais c’est aujourd’hui un client stratégique. En travaillant assidûment dans une intimité technique, nous avons réussi à gagner leur confiance, et leurs équipes R&D en charge de leurs nouveaux avions nous ont mis dans le secret de leurs projets, ce qui nous a permis de développer une nouvelle génération de produits.
Il est essentiel de développer cette intimité forte avec le client, c’est une mission de chaque instant. Il faut travailler sur le «?coup d’après?».
Cette intimité permet également de maîtriser le risque de lancement de nouveaux produits. Même si cela ne permet pas de les éviter tous, de nombreux échecs seront ainsi évités. Selon moi, un succès se nourrit ainsi de 51?% de réussites et de 49?% d’échecs.
Enfin, cela permet aussi de dépasser le traitement par les seuls services achat, qui surpondèrent le prix par rapport à d’autres facteurs.

Décideurs. Comment l’entrepreneur doit-il gérer les mutations, les risques ?
P. G. L’entrepreneur est un peu un explorateur. Un explorateur dans le monde géographique, qui va chercher de nouveaux marchés. Et aussi un explorateur dans le temps, celui des besoins futurs. Il explore le temps et l’espace. S’il s’interdit de prendre des risques, cela ne fonctionne plus ! Mais c’est celui qui prend et choisit les bons risques, qui les mesure et les maîtrise. Un risque, cela se mesure, se programme, s’anticipe : plus on l’intègre, plus on limite le risque pris. Sauter dans une piscine glaciale, sans prendre la température, c’est le risque d’hydrocution… Tester ses idées au niveau client est ainsi un outil de réduction des risques. Attention toutefois : certains clients nous ont eux-mêmes emmenés dans des projets qui n’ont pas abouti.

Décideurs. Que pensez-vous de la notion de leadership, par opposition à la notion de direction, de pouvoir ?
P. G. Je cultive le pilotage par la vision, le cap, les valeurs. Le chef d’entreprise comme le leader doit concevoir le cap et piloter avec des valeurs. Il doit donner le cap plutôt que de donner des ordres.
Une fois le cap posé, un plan d’action avec des objectifs doit être arrêté. Les salariés et leurs managers pourront ensuite agir de façon autonome, en confiance. Celle-ci est fondamentale, même si elle n’exclut pas la vérification.
La gouvernance passe aussi par les valeurs : chez Radiall, nous en avons sept qui guident tout, jusqu’à nos recrutements : éthique (valeur première), anticipation, agilité, innovation, excellence opérationnelle, rigueur financière et mondialisation. Je suis donc pour un management participatif : la vision, le cap et les valeurs posent un cadre qui garantit l’autonomie. Au Medef enfin, notre obsession, c’est l’emploi. Et la création d’emplois passera par la mobilisation et la revitalisation des valeurs entrepreneuriales du Medef.

Décideurs. Pilote-t-on le Medef comme on pilote une entreprise ?
P. G. Les points de convergence sont nombreux : il faut un cap, des objectifs, des valeurs. La spécificité du Medef, c’est que vos «?clients?» ou «?membres?» sont aussi vos actionnaires…

Décideurs. Votre entreprise a été sélectionnée au Grand prix des entreprises de croissance (GPEC), organisée avec le ministère des Finances, quelle réaction ?
P. G. Être nominés, c’est bien : nous en sommes très fiers. Mais l’objectif sera de gagner !

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