Patrons et politiques se sont rencontrés les 4 et 5 décembre derniers pour trouver des solutions aux problèmes qui minent la France. Tour d’horizon des propositions.
La réconciliation des patrons et des politiques est-elle pour bientôt ? À peine deux jours après la manifestation des chefs d’entreprise contre la politique gouvernementale, Emmanuel Macron s’est exprimé lors d’un forum baptisé « Entreprises, politiques, même combat », organisé par Osons la France au Grand Palais les 4 et 5 décembre 2014. Son but : engager les chefs d’entreprise à « risquer le mouvement » pour remettre la France sur le chemin de la croissance. Mais comment entreprendre, alors que tant de barrières semblent exister, aussi bien au niveau psychologique que législatif ou financier ?

C’est à cette question que les invités du « Premier sommet de l’économie » ont dû répondre. Au menu de la manifestation : les Français sont-ils flemmards ou malins ? Pourquoi rejettent-ils le capitalisme et la mondialisation ? Comment faire bouger un pays ? À quand un Google français ? Trente-neuf P-DG, ministres, chercheurs, philosophes ou encore représentants d’associations professionnelles et de syndicats de cadres ont fait part de leurs suggestions.

Dire la vérité
C’est la proposition d’Emmanuel Macron. Faire preuve de lucidité sur la situation économique permettra de trouver « le bon traitement » pour une France solide, mais soumise à une certaine « langueur » des dirigeants. Dans cette perspective, le ministre rappelle que « le gouvernement a pris ses responsabilités » pour donner aux entreprises plus de marges de manœuvre. Celles-ci doivent en effet bénéficier d’un allègement de quarante milliards d’euros d’impôts et de charges patronales dans le cadre du pacte de responsabilité. Désormais, il revient aux patrons de « partager la contrainte ».

Renforcer la rentabilité des entreprises
Mais c’est là que le bât blesse. Une majorité de dirigeants pointe encore du doigt le poids des taxes et des prélèvements obligatoires sur la rentabilité des entreprises. Par exemple, chez Valeo, les sites de production français concentrent 19 % des effectifs et génèrent 20 % du chiffre d’affaires. Mais ils représentent 54 % des charges sociales, selon Jacques Aschenbroich, P-DG de l’équipementier automobile. « La rentabilité de Valeo en France n’est donc pas à la hauteur des résultats de l’entreprise à l’échelle mondiale », regrette-t-il.

Conséquence : la délocalisation. « Pourtant, le patriotisme économique à un sens », insiste l’ancien ministre de l’Économie Arnaud Montebourg, agacé de ce « patronat qui parle plus de sa fiscalité personnelle que de celle de son entreprise ».

Améliorer la productivité du travail
Cela va souvent de pair avec la baisse des cotisations sociales patronales. Si l’augmentation du temps de travail a mauvaise presse aux yeux de l’opinion publique, elle est réalisable quand la survie de l’entreprise est en jeu. En 2012, cette mesure est devenue une nécessité pour Air France. « Dans le secteur aérien, le coût du travail est en effet la seule variable expliquant les écarts de compétitivité », explique le P-DG Alexandre de Juniac. « L’augmentation du temps de travail a permis une hausse de la productivité de 17 % en seulement deux ans », se félicite-t-il.

Les dirigeants européens plébiscitent également cette mesure. « S’il fallait prendre une décision symbolique pour améliorer la situation économique du pays, ce serait sans aucun doute la suppression des trente-cinq heures », s’exclame Rodolfo de Benedetti, président de l’entreprise italienne CIR qui emploie deux mille salariés en France.

Simplifier les réglementations
Pour Jeff Immelt, CEO de General Electric, et Marc Grynberg, P-DG d’Umicore, la priorité est à la simplification des réglementations dans toute l’Europe. « Il faut trois mois pour obtenir la permission de construire une usine en Corée, contre dix-huit en Belgique », note M. Grynberg. Même constat pour le time to market, ou le temps écoulé avant qu'une innovation ne se traduise par des emplois industriels.

Unifier le marché européen
La simplification des réglementations pourrait passer par une harmonisation du marché européen. « L'Europe, c'est vingt-huit marchés et réglementations différentes », observe Benoît Potier, P-DG d'Air Liquide. Leur unification permettrait d’optimiser les réseaux dans de nombreux secteurs, dont l’énergie ou les transports, précise Stéphane Richard, P-DG d’Orange : « L’Europe est en retard sur le déploiement d’infrastructures comme la 4G. La multiplicité des régulateurs a affaibli la capacité d’investissement du secteur. »

L’harmonisation de la réglementation européenne devient également un enjeu pour préserver la concurrence, avance Marc Grynberg. « En Belgique, le risque de black-out décourage l'investissement, ce qui crée des distorsions sur le marché. » Le P-DG d'Umicore conclut : « Un paysage fragmenté ne fait que ralentir le business. »

Dès lors, « les dirigeants de start-up doivent penser international dès l’élaboration du concept s’ils veulent le faire grandir en Europe », explique Frédéric Mazzella. Pour le fondateur de Blablacar, « on se sent vite à l’étroit sur le marché français ».

Construire une stratégie pour l'Europe
Dans ce contexte, le plan d'investissement de trois cents milliards d’euros annoncé par la Commission européenne en novembre dernier a été bien accueilli par ces dirigeants : c'est peut-être la première pierre d'une stratégie industrielle forte pour l'Union européenne. Mais encore faut-il savoir comment cette somme sera investie.
Pour Olof Persson, P-DG de Volvo, il faut miser sur l’optimisation des infrastructures à l'échelle européenne. Cela permettrait la création de régions transfrontalières particulièrement dynamiques, à l’image du pont reliant la Suède au Danemark inauguré en 2000.

Prendre le tournant du digital
L’avenir de l’Europe, mais surtout de la France, serait également à trouver dans le numérique. « Il faut investir d’urgence dans ce secteur », prévient Michel Combes, P-DG d’Alcatel-Lucent, chiffres à l’appui. « La capitalisation des entreprises européennes dans le numérique représente 2 % de la capitalisation totale sur le Vieux Continent, contre 90 % aux États-Unis ». Dans le viseur, Stéphane Richard et Guillaume Pepy (dirigeant de la SNCF), voient les objets connectés. « La productivité dans le secteur des transports peut augmenter de 20 % à 25 % grâce à cette technologie », observe ce dernier. « Ne laissons pas cet espace être préempté », avertit le patron d’Orange. Le risque : un énième plan d’urgence.

Avoir une vision
« Plan d’urgence des banlieues, plan d’urgence des urgences », Denis Kessler, P-DG de Scor, déplore la « procrastination à la française ». À chaque réforme repoussée dans le temps, « la France perd une génération, soit vingt-cinq ans », calcule-t-il. Devant le « strabisme » de la classe dirigeante, il préconise « une vision pour la France », fondée sur la confiance, une croissance soutenable et une société de la connaissance. Surtout, il appelle la société civile à reprendre ses responsabilités : « être moins administrée mais mieux gouvernée ».

Faire évoluer les mentalités sur le capitalisme
Faut-il alors que les patrons fassent « de la pédagogie sur l’économie, le capitalisme, la mondialisation » ? C’est ce que suggère Pascal Lamy, ancien président de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en constatant que « l’adaptation de la France au monde d’aujourd’hui passe d’abord par une dédiabolisation de la mondialisation ». Le philosophe André Comte-Sponville observe effectivement que 50 % des français sont contre le marché et 60 % s’opposent au capitalisme, au profit et à la mondialisation.

Pourtant, « l’entreprise a un très grand rôle à jouer » pour faire évoluer les mentalités, souligne Franck Riboud, P-DG de Danone. En effet, 90 % des Français déclarent aimer l’entreprise et 17 % souhaitent entreprendre. « Pourquoi personne ne dit aux élèves que le travail c'est le pied ? », s’interroge Mercedes Erra, à la tête de BETC. C’est peut-être par là qu’il faut commencer pour « en finir avec le non-désir et retrouver le goût de la croissance ».

Juliette Boulay

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}