Le président de la maison de vente du rond-point des Champs-Élysées apporte des explications au déclassement de Paris dans le marché mondial de la vente d’œuvres d’art.
Décideurs. Paris, et la France par extension, est-il adapté au marché de l’art mondialisé ?

Francis Briest.
La France est parfaitement adaptée à l’univers du marché de l’art. Que ce soit du point de vue administratif, fiscal ou financier, c’est un pays en ordre de bataille, dont le régime – ISF, taxe sur les plus-values, droit de suite... – est favorable au collectionneur.
L’intermédiation des œuvres, à travers les ventes publiques, mais aussi les foires d’art, fonctionne très bien. Toutes les conditions sont d’autant plus réunies que Paris est une ville de culture qui organise les plus grandes expositions au monde, et ce dans trois, quatre ou cinq institutions culturelles en parallèle. Les musées, qui n’ont souvent plus les moyens d’une ingénierie culturelle, ont laissé place à des organisateurs privés. Raison pour laquelle les foires françaises comme la Fiac sont internationalement reconnues.
Enfin, Paris attire les plus grands marchands et exporte son modèle culturel à travers le monde. Comme d’autres ont le Guggenheim, nous avons le Louvre à Abou Dhabi.


Décideurs. Comment expliquez-vous alors que Paris, autrefois capitale mondiale du marché de l’art, soit aujourd’hui relégué à la quatrième place ?

F. B.
C’est toute la question de savoir pourquoi, après la réforme de 2001 qui a laissé entrer de nouveaux acteurs et qui a permis le passage de sociétés assises sur un vieux système à des sociétés de capital, Paris ne redevient pas l’une des trois premières places fortes du marché de l’art.
Aujourd’hui, le duopole [Sotheby’s et Christie’s] présent dans la capitale et construit depuis plusieurs années grâce à une liberté typiquement anglo-saxonne, s’est installé partout dans le monde. Et comme tout duopole, il se nourrit de lui-même. C’est une règle économique.


Décideurs. Pourtant, après l’annonce de vos résultats – 192 millions d’euros en 2014, + 8 % par rapport à 2013 et + de 50 % en trois ans –, Artcurial a brisé ce duopole historique pour conquérir la deuxième place en France.

F. B.
Brisé, oui. Mais en France seulement. Le duopole n’agit pas suffisamment pour redonner à Paris sa place d’autrefois.
Depuis les ventes records de Maillol, Modigliani ou Yves Saint Laurent, nous savons que Paris est redevenu une place mondiale d’échange. Ce qui manque, ce sont les produits et les marchandises.
C’est tout le paradoxe de la situation : les acheteurs sont majoritairement étrangers et les collections parisiennes sont exportées à New York, Londres ou Hongkong. Rien ne reste dans la capitale !


Décideurs. Pourquoi, alors même que Paris est une bonne place, exporte-t-on autant ? N’est-ce pas un problème de fiscalité ? Ou bien manque-t-on d’acheteurs ?

F. B.
Ce n’est pas un problème de fiscalité. L’ISF dont tout le monde parle ne concerne que les collectionneurs français. Or, on sait que la majorité de nos acheteurs sont étrangers. De surcroît, la menace que cet impôt représente a toujours été balayée par les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite. Quant à la TVA, elle est plus importante à Londres : 20 % à 30 % alors que le gouvernement français vient de ramener de 7 % à 5 % son taux en France dans le but de favoriser les collectionneurs nationaux.
Ce n’est pas non plus un problème de collectionneurs. En 2014, la France est la cinquième puissance économique mondiale. Il est donc normal que les Français ne soient pas les premiers collectionneurs de la planète.
Les transactions se faisant avec tout le monde, le vrai problème est le manque de marchandises sur le sol français. Il faut nourrir le lieu pour permettre plus d’échanges. Le duopole voit sans doute ses intérêts financiers – rentabilité, marges bénéficiaires et opérationnelles… – ailleurs, mais je l’engage, ainsi que les autres maisons de vente, à travailler davantage sur le sol parisien.


Décideurs. La réponse ne viendrait-elle pas de l’exemple chinois où la maison China Guardian chasse à travers le monde les pièces originaires de son pays pour le compte d’acheteurs chinois ?

F. B.
Les Chinois, comme tous les collectionneurs issus des pays émergents, rachètent leur passé et leur propre culture après que la France et le Royaume-Uni ont acquis bon nombre de pièces durant les siècles passés. Mais les Chinois achètent aussi des biens en provenance d’autres régions. Et Duchamp, dont on parle beaucoup en ce moment à Paris, se vend parfaitement en Europe ou aux États-Unis. Preuve que la culture ne peut rester enfermée et qu’elle est aujourd’hui globalisée et mondialisée.


Propos recueillis par Julien Beauhaire


Photo © Artcurial


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