Le musée du Barreau de Paris a réuni des clichés du temps où les appareils photo avaient encore droit de cité dans les tribunaux. Ces photos, ressorties le temps d'une exposition et reprises dans l'ouvrage Clichés d'audiences, ramènent le lecteur au cœur des procès médiatiques du siècle passé. Entretien avec Basile Ader, avocat chez August Debouzy et conservateur du musée, à l'origine du projet.
Clichés d'audiences : entretien avec Basile Ader, avocat et conservateur du musée du Barreau de Paris
Il fut un temps où les photographes côtoyaient les chroniqueurs judiciaires dans les prétoires. Si en 2024, à l’ère du règne des écrans, les seules images autorisées à sortir d’un tribunal naissent d’un coup de crayon, il allait en différemment jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, avant une loi de 1954 qui bannit les appareils photo des salles d'audience. La question de l'utilité et des conséquences de l'utilisation des clichés d'audiences reste clivante. Décideurs Juridiques s'est entretenu, à l'occasion de la sortie de l'ouvrage Clichés d'audiences, avec un des défenseurs de la diffusion des procès et de leur accès au public, Basile Ader, avocat chez August Debouzy et conservateur du musée du barreau de Paris, qui a monté l'exposition itinérante associée.
Décideurs Juridiques. D’où est venue l’idée de réunir les photos, comment le musée du Barreau a-t-il déniché ces clichés ?
Basile Ader. J’ai repéré dans des caisses de photos acquises par le musée à des fonds photographiques de nombreux clichés d’audiences antérieurs à l’interdiction de 1954. Le musée du Barreau en a fait une exposition itinérante, actuellement à l’université Catholique de Lille. Son succès m’a donné l’idée de l’ouvrage, sorte de catalogue de l’exposition, qui contiendrait aussi des photos qui n’ont pu être exposées.
Qu’apportent ces photos à ceux qui les regardent aujourd’hui selon vous ?
Une photo révèle souvent beaucoup de choses que le texte ne dit pas. Elle est même plus parlante que l’image animée. L’expression de Landru au moment de la lecture de l’arrêt de la cour le condamnant à mort ; celle apeurée de Laval lorsqu’on lui annonce qu’il n’a pas obtenu le renvoi qui permettrait à ses avocats de prendre connaissance du dossier ; ou encore les larmes de Pauline Dubuisson, condamnée au bagne pour avoir tué son amant, qui a inspiré le film La Vérité avec Brigitte Bardot en 1960… [photo de couverture] Ces exemples démontrent que la photo témoigne mieux que tout de la vérité des émotions et du climat de l’époque.
Est-ce que c’était mieux « avant » à l’époque où l’on pouvait prendre des photographies des audiences ?
Je milite pour que l’on autorise à nouveau les photographes de presse à prendre des photos pendant l’audience et pas seulement avant ou après. La justice est rendue au nom du peuple français et une bonne justice repose sur le principe cardinal de la publicité. La photographie n’est pas si différente du dessin de presse, lequel est autorisé, si ce n’est qu’elle est plus fidèle à la réalité. Il ne s’agit pas de permettre à tout un chacun de venir photographier avec son téléphone, ce qui pourrait être intrusif, mais d’autoriser la presse à illustrer ses récits d’audience avec des images. Pourquoi peut-on rendre compte des procès par le texte et par le dessin et pas par l’image ? C’est une distorsion injustifiée.
Dans notre époque où l’image se multiplie à l’infini et se commente en temps réel, ne vaudrait-il pas mieux conserver une sorte de pudeur vis-à-vis du procès ?
Ces craintes sont chimériques. La limitation aux photographes de presse assure la discrétion. Pour les personnes qui méritent d’être protégées comme les mineurs, il y a des mesures d’anonymat. L’interdiction de 1954 n’est pas née du fait que l’on craignait l’utilisation postérieure des photos. Il s’agissait uniquement de protéger la sérénité des débats que perturbaient le matériel alors très lourd et les flashes des appareils de l’époque. Cette contingence a aujourd’hui disparu. L’interdiction est d’autant moins compréhensible qu’on peut prendre des photos de parties et avocats à l’audience mais avant que le procès ne s’engage. Dans beaucoup de pays civilisés, les photographes et les caméras sont d’ailleurs autorisés dans les salles d’audience qui rendent compte des procès par l’image : l’Italie, les pays nordiques, les États-Unis. Il y a même des endroits où l’on diffuse les procès en direct à la télévision. Cela n’empêche pas la justice d’y être bien rendue.
Quelles raisons ont-elles conduit le législateur à exclure les photographes des salles d’audience ?
Selon les travaux parlementaires de la loi 1954, deux procès ont allumé la mèche. En novembre 1953, dans la petite cour d’appel de Digne, au procès de Gaston Dominici, accusé du triple meurtre d’une famille anglaise, un photographe est allé jusqu’à s’asseoir sur la table du procureur pour obtenir une belle vue de l’accusé. À Poitiers, en 1954, le procès de Marie Bénard, accusée d’empoisonnement, fut le théâtre de débordements similaires. Dans un mouvement d’humeur, comme il peut en être coutumier, le législateur a exclu les appareils photo des salles d’audience au nom de l’agitation qu’ils causaient.
Depuis 2022, les audiences peuvent être enregistrées ou filmées pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique. Est-ce un motif de satisfaction ?
C’est une avancée, mais timide, qui ne concerne pas la photographie mais seulement les caméras. Et c’était déjà peu ou prou le système en place : une exception au principe de l’interdiction. Pour le procès des attentats du 13 novembre 2015, il y en a eu une retransmission en direct dans plusieurs salles d’audience. Le procès a été enregistré à des fins de constitution d'archives historiques. Allons plus loin et diffusons-les à la télévision sur une chaîne officielle, au même titre que les séances de l’assemblée des parlementaires retransmis sur LPC.
"Je ne comprends pas pourquoi la justice n’ose pas se montrer"
Quel intérêt pour les citoyens d’avoir davantage accès à la justice ?
Dans de nombreuses affaires, les prévenus appellent le juge "votre Honneur", influencés par les séries télévisées américaines. Les Français devraient savoir comment se tient un procès, fondamental dans la justice. Les productions autour du thème judiciaire, Anatomie d’une chute, Le Procès Goldman, les Plaidoiries de Richard Berry, etc., témoignent d’un réel attrait du public pour la manière dont la justice est rendue. Peut-être faut-il y voir l’expression de sa frustration. Aujourd’hui, rentrer dans un palais de justice c’est rentrer dans fort Knox. Il faut passer des portiques de sécurité, attendre, trouver la salle puis une place, risquer de ne pas bien entendre… La justice était rendue au centre de la cité à Athènes sur le Parthénon, au centre des villages, sous le chêne de Saint Louis. Tout cela avait une raison : les gens venaient voir comment on rendait la justice en leur nom, si c’était correct, égal pour tous et équitable. La justice participe à la vie de la cité et au contrat social.
Les clichés d’audiences participaient-ils à "la starification" des avocats ?
Je ne le crois pas. Il y a toujours eu de grands avocats très éloquents, Fernand Labori, Maurice Garçon, Robert Badinter, Henri Leclerc… Ces avocats avaient une aura particulière du fait de leurs éloquences respectives qui fascinaient. Quand on apprenait qu’un d’eux venait plaider dans une petite cour d’assises, elle se remplissait aussitôt, non pas par intérêt de l’affaire, mais parce qu’on savait qu’avec ces avocats, on allait assister à un spectacle. La publicité que leur apportaient des photos d’audiences ne changeait rien à l’affaire.
Propos recueillis par Anne-Laure Blouin
Retrouvez ici les informations sur l'exposition.
L'ouvrage Clichés d'audiences