Après le télétravail, un certain nombre d’entreprises considèrent l’opportunité de mettre en place la semaine de quatre jours. Pour Sarah Proust, fondatrice du cabinet de conseil en ressources humaines Selkis et experte associée à la Fondation Jean-Jaurès, cette réflexion est l’occasion de (re)penser le collectif au travail.

Décideurs. Dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès, vous expliquez que le concept de semaine de quatre jours revêt des modalités variées. Quelles sont-elles ?

Sarah Proust. Il faut que l’on arrête de parler de la semaine de quatre jours. Nous devons a minima évoquer des semaines de quatre jours car derrière ce concept se cachent plusieurs réalités. S’agit-il d’une semaine avec une réduction du temps de travail et un passage aux 32 heures ou est-ce la contraction de 35 heures ou 39 heures de travail sur quatre jours ? Dans le deuxième cas se pose la question de l’intensification du travail avec toutes les conséquences que cela suppose. Ensuite, pourquoi les entreprises l’adoptent-elles ? Quelle est l’intention recherchée derrière ? Est-ce pour proposer une compensation aux personnes qui ne peuvent pas télétravailler ? Est-ce pour rendre l’entreprise plus attractive et mieux recruter ? Ou est-ce, même si cela est plus rarement le cas, pour des questions environnementales ? Si mes salariés ne viennent pas trois jours d’affilée, j’enregistrerai des économies de chauffage, par exemple.

Les entreprises peuvent-elles justifier sa mise en place par une volonté de favoriser la mixité grâce à une meilleure répartition des tâches hommes-femmes ?

Pour l’instant, cela me paraît un peu illusoire. Les expérimentations montrent que les femmes à bas salaires (singulièrement les familles monoparentales) ne se précipitent pas sur la semaine de quatre jours quand elle leur est proposée. S’il s’agit de faire 35 heures ou 39 heures en quatre jours, cela veut dire qu’elles ne peuvent amener et ramener les enfants de l’école. Or elles n’ont pas les moyens de payer quelqu’un pour le faire. Cela peut intéresser des cadres mais pas ce type de population. Ce n’est donc pas un outil d’égalité professionnelle.

"Peut-on être une entreprise ou une administration en combinant toutes les situations individuelles ?"

Vous estimez que la semaine de quatre jours est un nouveau symptôme de l’individualisation du travail. Pourquoi ?

L’organisation du travail a évolué. Pas à cause du Covid mais ce phénomène a été accéléré par la pandémie. Au fond, le travail est organisé en fonction des individus. Le télétravail répond aux besoins des uns et des autres. Peut-on être une entreprise ou une administration en combinant toutes les situations individuelles ? Certes, sur des sujets comme le handicap ou l’âge, il faut s’adapter et mettre en place des solutions. Mais le collectif ne peut dépendre des desiderata de chaque salarié. C’est là le symptôme de l’individualisation de l’entreprise. Nous devons y réfléchir. Avant de mettre en place la semaine de quatre jours, les dirigeants sont appelés à se pencher sur ce qui fait le socle de l’entreprise, les missions communes et ses valeurs spécifiques. Ce mécanisme est l’occasion de s’interroger sur les conditions de travail des salariés.

Est-ce également le symptôme d’un nouveau rapport au travail des plus jeunes ?

Je ne suis pas d’accord avec cette théorie. Je ne crois pas que les jeunes aient un rapport fondamentalement différent au travail. Quelles que soient les générations depuis les années 1990, les études montrent que les attentes sont toujours les mêmes : le travail sert à avoir une bonne rémunération. Est-ce que les aspirations sur l’emploi ont évolué ? Peut-être car la société change et très vite, avec notamment un rapport à l’instantanéité différent. Mais est-ce que les plus âgés aussi veulent plus d’autonomie dans leur travail, plus de responsabilités et bien en vivre ? Je crois qu’on trouvera autant de seniors que de jeunes qui répondraient « oui » à cette question.

Comment les autres pays européens se positionnent-ils ?

De manière générale, les débats sont équivalents en Europe, avec les mêmes confusions. Après, les expériences s’avèrent un peu différentes. En Islande et au Royaume-Uni, ce sont des think tanks qui ont lancé des expérimentations, avec une baisse du temps de travail à 32 heures et le maintiens des salaires. En Espagne, les pouvoirs publics ont proposé à des PME industrielles volontaires, soutenues financièrement par le gouvernement, de tester la semaine de quatre jours. Par exemple, si leur chiffre d’affaires baisse elles seront aidées. Au Portugal, un chercheur, Pedro Gomez, tente une expérimentation qui ne sera pas publique pour voir comment les entreprises l’opèrent sans intervention de l’État. En Belgique, les salariés peuvent opter pour une semaine de 4 jours depuis 2022 mais sans réduction du temps de travail. 

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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