La durée d’une procédure d’information/consultation de la représentation du personnel dans le cadre d’un PSE est normalement encadrée par la loi, ce qui n’exclut pas des dérapages, contrôlés ou non. Dans un tel cas, si la situation économique de l’entreprise au moment de l’envoi des lettres de licenciement ne correspond plus à celle de départ, l’employeur peut-il s’adapter en substituant, par exemple, au motif des difficultés économiques retenu à l’engagement de la procédure d’information/consultation, celui de la sauvegarde de la compétitivité ?

Alors que les dispositions légales résultant de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi modifiant notamment l’article L. 1233-30 du Code du travail, ont conduit à réduire substantiellement les délais de procédure d’information/consultation de la représentation du personnel en cas de PSE, aucune entreprise n’est à l’abri d’un rallongement de ladite procédure, que celui-ci soit :
- subi du fait de contestations judiciaires ou encore sur la base d’injonctions ou de "recommandations" de l’administration ;
- ou voulu, compte tenu, par exemple, de la signature d’un accord de méthode.
Or, les règles en matière d’appréciation du motif économique (Art. L. 1233-3 du Code du travail), lorsque celui-ci est construit autour des difficultés économiques, sont très précises :
- les difficultés économiques sont "caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre
d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces
difficultés" ;
- une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
- un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
- deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
- trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de 300 salariés ;
- quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.
La Cour de cassation s’est prononcée très récemment (Cass. Soc., 1er juin 2022, n°20-19.957) sur la question de la période pour apprécier la pertinence de ces
difficultés économiques :
- ces difficultés s’apprécient au moment de
l’envoi de la lettre de licenciement (jurisprudence constante) ;
- les trimestres à prendre en compte sont des trimestres glissants de date à date (et non des trimestres civils) ;
- aussi, la constatation de la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires s’effectue sur les trimestres contemporains à l’envoi de la lettre de licenciement.
Seulement les éventuelles vicissitudes de la procédure d’information/consultation peuvent différer l’envoi des lettres de licenciement et faire que la réalité économique d’un jour n’est plus celle du lendemain. Dans le même sens, l’aménagement d’un calendrier prévisionnel des départs selon les catégories de salariés pourrait en placer certains dans des situations différentes au regard de la période d’appréciation de ces difficultés économiques. Dans ce cas, les juges – se plaçant à la date d’envoi des notifications de licenciement – sont en droit de considérer que le motif de licenciement n’est plus avéré et les licenciements prononcés deviennent abusifs avec toutes les conséquences indemnitaires prévues par les textes.

Quelle marge de manœuvre pour l’entreprise ?

Comment réagir lorsque, après plusieurs mois de réelles difficultés économiques et financières justifiant sans aucune hésitation la construction d’un document "Livre II" bâti sur la base de ces difficultés mais que, le temps passant, une embellie survient au moment de l’envoi des lettres de licenciement ? D’aucuns invoqueront une certaine incohérence, car chacun sait qu’une hirondelle ne fait pas toujours le printemps et que l’embellie du mois de juin n’efface pas des mois de disette et, surtout, ne garantit en rien pour l’avenir un retour à l’équilibre financier. Pour autant, faut-il renoncer aux licenciements au risque de se voir condamner à verser des dizaines de milliers d’euros d’indemnisation ? Les esprits chagrins diront qu’un tel coup du sort aurait pu être évité en se plaçant dès le départ dans le cadre beaucoup plus flexible de la sauvegarde de la compétitivité, même si celui-ci ne correspondait pas à la réalité du moment, certes… Les avocats soucieux de respecter l’esprit des textes vis-à-vis de leurs clients, en seront pour leurs frais en ayant, par professionnalisme ou excès de zèle, précipité bien involontairement le sort de leur client dans les affres du contentieux prud’homal.

Une alternative est-elle envisageable ?

Pour tenter de sortir de cette ornière, pourrait-on imaginer qu’après avoir mené une procédure d’information/consultation sur la base d’un Livre II bâti sur les difficultés économiques, "switcher" dans les lettres de licenciement sur la sauvegarde de la compétitivité ? Après l’excès de zèle et le professionnalisme, c’est dans l’aventure humaine que l’avocat qui aura décidé de se lancer dans une telle entreprise, plongera son client ; mais pour quels risques exactement ?

Avec quels risques ?

Éliminons d’entrée celui lié à l’intervention de la Dreets; si l’administration a validé ou homologué le PSE et que les délais de recours sont écoulés, plus de risque de contestation, a priori de ce côté-là. Sauf que l’autorité de la chose décidée par l’administration ne s’oppose pas à ce que le juge judiciaire non seulement apprécie
la cause économique mais également un autre motif que celui présenté aux institutions représentatives du personnel. En revanche, le changement de motif n’est-il pas une cause d’invalidation des licenciements en cas de contentieux et, en amont, s’agissant des salariés protégés, une cause de refus de leur autorisation de licenciement ? Ce risque existe très clairement pour les salariés protégés. Pour les autres, la lettre de licenciement fixant les limites du litige (C.trav., article L. 1235-2), seul le motif tenant à la sauvegarde de la compétitivité devrait être pris en compte par le juge, peu importe qu’il ait été fait état d’un autre motif au cours de la procédure ayant abouti à la validation du PSE par la Dreets. L’équation se simplifie en apparence : si la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise est avérée, les licenciements seront réputés avoir une cause réelle et sérieuse. Reste que le juge pourrait alors considérer que les licenciements prononcés ne peuvent avoir un autre motif que celui ayant été présenté à la représentation du personnel et à l’administration ; partant, les licenciements ne pourraient-ils pas être considérés comme nuls sur le fondement de l’article 1235-10 du Code du travail ? Une telle solution apparaîtrait sans doute excessivement sévère pour une entreprise dont le seul tort aura été, finalement, de voir sa situation économique et financière s’améliorer au fil du temps, mais pas suffisamment pour renoncer totalement aux licenciements envisagés.
En définitive, la meilleure option ne consisterait-elle pas alors à faire « chevaucher » les deux motifs tirés et des difficultés économiques et de la sauvegarde
de la compétitivité ? La Chambre sociale de la Cour de cassation admet la possibilité de faire figurer au sein d’une même lettre de licenciement deux motifs distincts, s’agissant de motifs personnels correspondant à des faits distincts à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement (Cass. Soc., 21 avril 2022, n° 20-14.408). En outre, le texte de l’article L.1233-42 du Code du travail énonce qu’en matière de licenciement économique, la lettre de licenciement comporte "l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur" ; cela même si la jurisprudence n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur un tel cas, jusqu’à présent…

En conclusion, la définition du licenciement économique révisée en 2013 censée sécuriser les entreprises en donnant des critères plus objectifs pour caractériser les
difficultés économiques, peut s’avérer paradoxalement, dans certaines circonstances telles que rappelées ci-dessus, plus défavorable aux employeurs.

Sur les auteurs :

Jacques Perotto et Gilles Podeur sont avocats associés au sein d’Alérion, Cabinet full service comptant plus de 60 avocats et dont l’expertise est axée sur le droit social et le restructuring. Ils ont mis en place une task force centrée sur la transformation de l’entreprise quand celle-ci combine restructuration financière et restructuration sociale. Jacques Perotto et son équipe couvrent des thématiques liées au droit du travail et au droit de la sécurité sociale, en conseil et en contentieux. La négociation collective, les restructurations et la santé au travail sont les thèmes sur lesquels il a bâti une solide expérience. Gilles Podeur intervient en matière de restructuring et procédures collectives. Il accompagne ses clients sur tous les aspects du droit des entreprises en difficulté, qu’il s’agisse de restructuration de dettes, du pilotage de procédures collectives, d’acquisitions d’entreprises sous-performantes, d’offres de plan de cession, de droit des sûretés ou d’actions en responsabilité. Les dossiers qu’il traite ont fréquemment une composante internationale.

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