Bureau régénérant : une nouvelle carte à jouer pour remobiliser les salariés
La qualité de vie au travail
L’étude croise les attentes des 3300 salariés avec le décryptage d’un anthropologue, qui nous éclaire sur la façon dont les travailleurs ont repensé leurs modes de travail et leur rapport au travail, explique Flore Pradère, directrice recherche & prospective chez JLL. "Les sciences sociales sont d’un précieux recours pour parvenir à décoder ce qui se joue derrière cette transformation des habitudes de travail" précise-t-elle. L’enquête dirigée par JLL explore la question brûlante de la qualité de vie au travail : cette dernière a-t-elle ou non été améliorée par l’adoption régulière du télétravail ? A priori oui, car en travaillant depuis son domicile, le salarié devrait avoir plus de temps à consacrer à son bien-être et à son épanouissement personnel. Pourtant, Flore Pradère montre que le bilan n’est pas si linéaire : "20 % du temps de transport ont été réalloués à travailler davantage et nous avons constaté que certains salariés avaient beaucoup de mal à déconnecter lorsqu’ils travaillaient à distance". Ainsi, le télétravail soulève la question de la santé mentale, physique et sociale des collaborateurs et fait naître de nouvelles attentes à l’égard des employeurs. Flore Pradère indique que, pendant la pandémie, 40 % des salariés ne se sont pas sentis soutenus par leur entreprise. Le bureau a donc un vrai rôle à jouer pour redevenir attractif, inclusif et protecteur. Par ailleurs, il doit pouvoir offrir une qualité de vie équivalente à celle expérimentée par les salariés en travail à distance, en proposant des repas plus sains et variés, l’opportunité de faire des pauses dans la journée, d’être actif sur le lieu de travail, etc. Le bureau doit enfin offrir un cadre privilégié pour la collaboration à haute valeur ajoutée et les relations informelles, afin de permettre aux salariés de retrouver une vraie qualité relationnelle. La directrice recherche & prospective indique que seulement un tiers de travailleurs de bureau parviennent à entretenir des relations de qualité avec leurs collègues lorsqu’ils sont à distance.
Rôle clé du manager
Au-delà de la réflexion sur les espaces de travail, le rôle du manager s’avère essentiel. Anne Talagrand, DRH de Fujitsu, indique que le groupe japonais a réalisé quelques essais, avant le premier confinement, afin d’opérer plus aisément la bascule vers le télétravail : "Nous avons réalisé un test grandeur nature au cours duquel tous nos salariés étaient en télétravail à 100 %". Elle ajoute que l’entreprise a mis en place des "points managers" afin de prendre soin de la santé des collaborateurs, de veiller à leur sécurité et de maintenir la proximité, même à distance. Ces "points managers" permettent aux salariés de s’exprimer et d’échanger des bonnes pratiques. Flore Pradère rebondit sur ce point et affirme que le rôle du manager est clé, notamment dans l’organisation du temps de travail, dans un contexte où le modèle traditionnel de la journée de travail qui démarre à 8 heures et termine à 18 heures est devenu obsolète. Le travail est dorénavant plus flexible et se module en fonction des impératifs de chacun. Elle explique qu’à présent, de nombreux salariés travaillent sur des plages horaires étendues mais avec davantage de pauses au cours de la journée, pour aller chercher les enfants à l’école, par exemple : "Ce sont des alternances de cycles entre du travail, du temps pour soi, et de nouveau du travail". Cette nouvelle flexibilité pose la question de la capacité à déconnecter. La DRH indique que les managers, chez Fujitsu, sont formés par des psychologues du travail qui les sensibilisent à cet enjeu. Elle ajoute que "la déconnexion est primordiale le soir, et en dehors des horaires classiques de travail". En effet, la passerelle entre temps professionnel et temps privé est quelquefois trop floue et le besoin est réel de proposer des moments où le salarié peut se régénérer pendant la journée de travail. Le temps de transport, pourtant régulièrement décrié, est un bon exemple de "sas de décompression" entre le travail et la sphère privée.
Quelles attentes vis-à-vis du bureau ?
Rémi Calvayrac, directeur Workplace & Design chez JLL France, indique qu’il "faut trouver la bonne ligne de conduite entre se montrer attentif aux aspirations des collaborateurs et réunir les conditions de la performance organisationnelle". Pour ce faire, l’organisation du travail doit être repensée ainsi que les lieux, les temporalités, les zones de rencontre. Il rapporte que certaines entreprises se demandent aujourd’hui si les "grands campus de bureaux", réunissant tous les collaborateurs sur un même site, sont toujours des formats pertinents. Il cite le modèle du "Hub & Club", avec un siège qui incarnerait la culture et l’image de l’entreprise et de nouveaux bureaux satellites, peut-être des coworkings, plus proches des bassins de vie des salariés. Avec à l’intérieur des bureaux, une organisation en flex-office qui tend à se généraliser, pour laisser la place à davantage de flexibilité et de variété dans les espaces de travail. La question, selon lui, est de savoir de quelle manière piloter ces nouveaux usages. Certaines entreprises utilisent des applications qui permettent de monitorer et de déclarer les venues sur le site. D’autres ont fait le choix d’installer des capteurs mesurant le taux de présence. Anne Talagrand explique que Fujitsu a justement opté pour le flex office. Les postes de travail sont désormais mutualisés et des espaces collaboratifs et informels ont été aménagés pour offrir aux collaborateurs une meilleure expérience de travail au bureau. L’objectif ? Associer performance, créativité et collaboration. Flore Pradère précise que ces espaces collaboratifs et informels sont très importants car "46 % des salariés souhaitent retrouver de la convivialité en se rendant au bureau". Le repère individuel disparaissant, il doit être remplacé par un repère collectif fort et très présent. Comme l’affirme Rémi Calvayrac : "Sans repère, nous courrons un risque de désengagement certains du côté des collaborateurs. Tout l’enjeu est donc de passer d’une identité individuelle à une identité collective pour faire de ces projets des projets gagnants."
Clémence Galland