Mercedes Erra (BETC) : "J'espère que la prochaine génération sera plus radicale"
Décideurs. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Mercedes Erra. Jamais enfant, je ne me serais imaginée travailler dans la publicité. Je voulais devenir avocate ou professeure de français. Ces univers, reliés par la langue, ne sont pas aussi éloignés qu’on pourrait le croire. Après tout, les sciences humaines, l’analyse de texte, la rigueur acquise au cours de mes études littéraires me servent encore aujourd’hui quand il s’agit de comprendre un public et de le persuader. Mon parcours ne sort donc en rien de l’ordinaire. J’ai simplement eu la chance de faire la rencontre d’un métier et pas n’importe lequel : celui qui me plaît et qui me va bien.
Après, cependant, un passage dans l’enseignement… Le lien que j’entretenais avec la langue française était si fort, presque magique, que j’ai tout fait pour le maintenir. Le plus beau métier du monde ne pouvait donc être que de l’enseigner, cette langue ! Hypokhâgne, deux khâgnes, Capes de lettres… de longues études qui n’ont pas cessé avec ma prise de poste. J’aimais la relation de transmission avec les élèves mais il me fallait passer à autre chose, quitter cette atmosphère studieuse. Je savais surtout que le fonctionnariat n’était pas fait pour moi. Je ne me retrouvais pas dans ce monde, où l’évaluation et l’évolution des enseignants diffèrent trop de ma conception du progrès et des avancées individuelles. Dans l’enseignement, quoi que vous fassiez, vous ne pouvez pas sortir du lot. Or, j’ai le mérite chevillé au corps.
Cette sensibilité explique-t-elle vos convictions féministes ?
À 6 ans déjà, j’étais féministe ! Je ne supportais pas de voir ma mère assignée à domicile, elle qui avait fait des études… Elle était marrante Maman. Cloîtrée à la maison, elle n’était pourtant pas vraiment intéressée par les tâches domestiques, par la cuisine. Manière sans doute pour elle de désobéir aux normes en usage. Moi je refusais purement et simplement qu’on m’enferme dans un rôle, qu’on m’impose la maternité ou un métier. Pendant des siècles, les femmes ont été "mises sous toit" et le rééquilibrage se fait encore attendre. La génération des trentenaires continue à beaucoup trop encaisser. J’espère que la prochaine sera plus radicale. Plus en colère.
"À 6 ans déjà, j’étais féministe"
Est-ce plus exigeant de diriger une agence comme BETC lorsque l’on est une femme ?
Je ne m’en rends plus compte. Je ne pense pas mais je ne sais pas. Je fais beaucoup de place au collectif, je ne suis pas seule à la diriger. Plus j’ai de personnes autour de moi, mieux je me porte. Dans mon métier, il existe un fort enjeu d’énergie. Femme ou pas, il faut que j’aide les équipes à trouver les ressources nécessaires. Il est rare que je me lève un matin en me disant "Tiens, aujourd’hui, ce n’est pas grave si je ne suis pas utile" !
Qu’est-ce que cela dit de votre conception du pouvoir ?
Qu’il n’est jamais acquis ! Je n’aime pas les signes extérieurs de pouvoir. Je préfère quand le pouvoir est moins lisible. Avoir du pouvoir doit avant tout vous placer dans une obligation de travail, y compris sur vos fragilités. Il vous expose, ne vous épargne en rien l’adversité, et c’est normal. Le pouvoir se mérite. Il revient à ceux qui répondent présents dans la défaite et insufflent aux autres ce qui leur reste d’énergie. C’est pourquoi je ne conçois pas le pouvoir sans droit à l’échec. Comment voulez-vous révéler toute l’étendue de votre talent, si vous êtes paralysé par la peur d’échouer ? À vouloir tout contrôler, vous limitez certes la casse. Mais vous vous interdisez aussi une réussite sensationnelle. Seule la prise de risque permet de sortir de la médiocrité.
Propos recueillis par Marianne Fougère