Affaire Veolia : l’avocat des salariés de Suez prend la parole
Décideurs. Pourquoi le tribunal judiciaire de Paris conditionne-t-il la poursuite du projet de rachat de Suez par Veolia à l’information et à la consultation des comités sociaux et économiques (CSE) ?
Zoran Ilic. Il considère que la cession des 29,9 % de parts détenues par Engie ne constitue en rien un élément isolé, presque anodin. Quand une entreprise procède à un tel investissement [NDLR : le rachat des titres est estimé à 3,5 milliards d’euros], ce n’est pas uniquement pour devenir actionnaire. Le tribunal nous donne raison et estime, au contraire, que la cession des actions s’inscrit dans un projet industriel plus large, le rachat de Suez par Veolia, qui entraînera une réorganisation des activités de Suez et la cession de certaines d’entre elles. Or, de telles conséquences impliquent d’organiser l’information et la consultation des CSE.
Y-a-t-il eu des antécédents ?
Cette ordonnance s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence assez classique. Les textes prévoient en effet que, lorsqu’un projet de cet ordre n’est pas soumis à la consultation, les représentants du personnel sont dans le droit de saisir un juge. En 2014 déjà, la Cour d’appel de Paris avait ordonné la suspension de la cession du Printemps à des investisseurs qataris en attendant la reprise de la consultation du comité central d’entreprise. Mais, dans ce dossier, les informations étaient détenues par l’employeur, ce qui n’est pas le cas ici. Les éléments d’information que nous sollicitons sont entre les mains, si je puis dire, d’une "tierce" personne.
"Mes clients doutent de la capacité [du fonds d’investissement] Meridiam à maintenir l’activité Eau" de Suez.
Que craignent les CSE que vous représentez ?
Je défends les CSE des métiers de l’eau dont la plus grande inquiétude réside dans la rétrocession de cette activité pour se conformer aux impératifs de concurrence. La direction de Suez a eu beau tenter de la protéger en la plaçant dans une fondation aux Pays-Bas, sa reprise par Meridiam semble actée. Mes clients doutent de la capacité de ce fonds d’investissement à maintenir l’activité Eau au regard de son inexpérience en la matière. Sans parler du fait que ce rachat reviendrait à confier la gestion d’un service public à une telle structure … Par ailleurs, quelles garanties au niveau de l’emploi ? Veolia s’est engagée à ne procéder à aucun licenciement. Mais pas Meridiam. On ignore tout du contenu du contrat passé entre cette société et Veolia.
Comment garder son cap avec un dossier aussi médiatisé ?
Le débat s’emballe depuis quelques jours seulement, surtout depuis l’ordonnance. Le 27 septembre, le jour de la plaidoirie devant le tribunal judiciaire de Paris, nous n’étions que des avocats dans la salle. Mais, sur ce type de dossier, le piège serait d’accorder une importance démesurée aux implications politiques et médiatiques. Au risque d’oublier que notre action pose une vraie question de fond : peut-on priver les salariés du droit d’être informés sur leur avenir ?
"Sur le papier, tout le monde est disposé au dialogue social ; sur le terrain, les conditions ne sont pas toujours réunies".
Que dit justement cette décision de la place du dialogue social en France ?
Elle révèle combien celle-ci est encore trop ambigüe. Pour ne prendre qu’un exemple, prenons les ordonnances Macron. Elles ont limité considérablement les prérogatives et les droits des CSE pour, en même temps, inciter les parties à réintroduire du dialogue social. Sur le papier, tout le monde est disposé au dialogue social ; sur le terrain, les conditions ne sont pas toujours réunies. Cette décision l’illustre parfaitement. Il ne s’agit pas, pour les CSE que je représente, d’intenter un procès dogmatique et bureaucratique. Notre démarche soulève la question de la place des salariés et de leurs représentants dans la vie des entreprises. Ont-ils un simple droit de regard superficiel sur leur fonctionnement et leur stratégie ou, comme les textes le prévoient, un véritable droit de participation ? Quoiqu’il en soit, leur voix compte.
Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot et Marianne Fougère