La loi Avenir professionnel a transformé le paysage de l’alternance. Elle permet notamment aux entreprises de combler leur manque de main-d’œuvre en les autorisant à ouvrir leur propre centre de formation des apprentis. Une mesure inédite qui suscite un vif intérêt, mais également certaines inquiétudes.

C’était l’un des grands chantiers promis par Muriel Pénicaud : la refonte de l’apprentissage. Objectif initial ? Lever les barrières empêchant aux jeunes d’accéder à l’apprentissage, "l’un des meilleurs tremplins vers l’emploi", selon le gouvernement qui, dès 2018, diffuse les vingt grandes mesures de la réforme : augmentation de la rémunération des apprentis, diffusion d’une information transparente sur les formations, ouverture de l’apprentissage aux jeunes jusqu’à 30 ans (et non plus 26 ans), embauche ouverte tout au long de l’année… Mais aussi, la possibilité pour les centres de formation des apprentis (CFA) de "développer rapidement et sans limite administrative les formations correspondant aux besoins en compétences des entreprises". Des mesures définitivement adoptées dans le cadre de la loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" du 5 septembre 2018. "La loi a débloqué les règles qui bridaient l’apprentissage", assurait la ministre du Travail, en février dernier, avant de présenter les chiffres de l’apprentissage pour l’année 2019. Muriel Pénicaud a d’ailleurs souligné un "boom" de l’apprentissage sur l’année 2019 et une augmentation de + 30 % du nombre d’apprentis par rapport à 2018.

La colère des régions

Une déclaration qui a provoqué l’ire de Régions de France, l’institution chargée de représenter et de défendre les intérêts des régions. Dans un communiqué du 10 décembre 2019, elle rappelle que les régions disposaient de la compétence de la formation professionnelle ainsi que des politiques d’apprentissage depuis l’application des toutes premières lois de décentralisation. Compétence à la fois importante et symbolique. Si bien que les discussions au Parlement ont donné lieu à un bras de fer d’une ampleur inédite entre le pouvoir centralisé et les collectivités. Si les régions ont à l’évidence perdu la bataille, elles campent toujours sur leur position, n’hésitant pas à dénoncer "les mensonges" de la ministre du Travail : "Elle s’attribue les bons chiffres de l’apprentissage en oubliant une donnée essentielle : la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qu’elle a elle-même fait voter, ne retire la compétence apprentissage aux régions que le 1er janvier 2020. Tous les résultats enregistrés jusqu’à cette date sont donc le fruit des politiques actives menées par les régions qui ont su redynamiser et promouvoir cette voie de formation alternative au système scolaire classique." Accusant la réforme de favoriser l’apprentissage dans l’enseignement supérieur − et non au niveau infra-bac −, l’institution estime que la nouvelle loi fait peser un risque majeur sur le système d’apprentissage. "Les 554 intentions de création d’un CFA se heurteront à la réalité du terrain, avec des fermetures ou des restructurations de très nombreux CFA", alarme Régions de France, évoquant directement les CFA interprofessionnels, ceux en zones rurales ou encore ceux qui forment aux métiers rares. L’institution craint aussi que certains secteurs se trouvent en difficulté dès l’année 2020 et sollicitent alors l’aide des régions. Mais celles-ci l’annoncent : elles n’auront plus les moyens de leur apporter leur soutien.

Viser des métiers émergents

Du côté des entreprises en revanche, l’accueil est tout autre. À l’annonce du projet de loi, un grand nombre d’entre elles ont manifesté leur enthousiasme, percevant derrière cette réforme la possibilité de lutter contre le manque de main-d’œuvre. Mais aussi de recruter de façon plus efficace. Dès le mois de mars 2019, à l’occasion de la présentation du dispositif par les équipes de la rue de Grenelle, une trentaine de sociétés se sont ainsi dites prêtes à s’investir dans cette formation et à créer leur propre centre. Comment ? En répondant simplement à une exigence principale : viser des métiers émergents ou en forte évolution. La loi prévoit une procédure simplifiée pour mettre en place un CFA. Plus besoin d’obtenir une autorisation de la région. Le ministère du Travail précise toutefois que les apprentis ne devront pas se détourner de l’enseignement général. Les entreprises souhaitant ouvrir un CFA auront donc l’obligation de prévoir un projet pédagogique global.

Des CFA inter-entreprises

Un titre pourra par ailleurs être remis à l’apprenti au bout de six mois, alors qu’il fallait auparavant attendre trois ans pour qu’un diplôme soit décerné. "Pour ne pas dégrader la formation, les nouveaux CFA devront répondre aux mêmes exigences de qualité que ceux d’aujourd’hui, assure-t-on au ministère du Travail. Mais comme pour les lycées et les universités, certains seront plus cotés que d’autres." Assez rapidement, certaines entreprises ont envisagé de se regrouper pour créer des centres avec des formations communes. Adecco, Accor, Korian et Sodexo ont ainsi créé un CFA des métiers de la cuisine et de la restauration : le CFA des Chefs qui accueillait ses premiers apprentis à la fin du mois de mars 2020 sur les sites de Paris, Lyon et Marseille. "La loi a été l’élément déclencheur", explique Françoise Merloz, directrice de ce premier CFA inter-entreprises. La loi prévoit par ailleurs que la formation en apprentissage pourra démarrer à n’importe quel moment de l’année, en fonction des besoins des groupes. Plus besoin d’attendre la rentrée de septembre. Avec leur propre CFA, les sociétés pourront accueillir des jeunes en formation à n’importe quel moment de l’année. Quid du financement ? Selon le texte en vigueur, l’entreprise qui ouvre un CFA aura, entre autres, la possibilité de se verser à elle-même une partie de sa taxe d’apprentissage pour financer les outils nécessaires à la formation des apprentis.

Capucine Coquand

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