Fondateur de Columbus Café, auteur à succès, chroniqueur et conférencier, Philippe Bloch est peu porté sur l’amertume ou la nostalgie. Pour lui, les échecs sont des leçons à valoriser et le management une affaire d’envie à partager. Dans son dernier livre – Ne me dites plus jamais bon courage !¹ –, cet adepte de la pensée positive revient sur le poids des mots sur notre environnement, et sur le caractère toxique de certains éléments de langage. Édifiant.

Décideurs. Vos derniers livres¹ traitent à la fois de management et de développement personnel, comment résumeriez-vous leur message ?

Philippe Bloch. Tous deux parlent d’optimisme et du fait que nous pouvons tous devenir initiateurs de changements à condition d’éradiquer certaines habitudes, notamment verbales. Les mots ne sont jamais neutres. Ils ont un impact sur notre environnement. Mon message est simple : quel que soit le contexte, on peut tous devenir porteurs de bonnes nouvelles, véhiculer un projet, donner envie. Mais cela implique de renoncer à utiliser en continu des expressions apparemment anodines qui, en réalité, véhiculent une forte charge négative.

À quel type d’expressions pensez-vous ?

À une formule comme « bon courage ». Nombre de managers l’utilisent tous les jours sans avoir conscience qu’elle envoie à leurs collaborateurs un message extrêmement négatif qui signifie : « ça va être pénible, difficile, laborieux… ». Répétée quotidiennement, ce type d’expression peut avoir des effets désastreux. Elle va à l’encontre du premier devoir d’un manager qui est de donner envie ; de mobiliser autour d’un projet.

Vous insistez beaucoup sur cette notion de projet. Pourquoi ?

Parce qu’un projet, quel qu’il soit et surtout lorsqu’il est partagé, est un formidable moteur. C’est ce qui nous fait tenir et avancer. C’est pourquoi des formules telles que « on fait aller » ou, pire, « vivement la retraite » sont catastrophiques : elles révèlent une absence de projet collectif terrifiante.

Vous dénoncez également notre usage récurrent de l’adjectif « petit » ; en quoi est-il problématique ?

Dans les entreprises françaises, ce mot est en effet omniprésent : ça va de « tu as reçu mon petit mail ? » à « on se fait un petit point ? », en passant par « il me faut une petite signature » et « on a un petit problème »…  À cela s’ajoutent des expressions comme « petits patrons » - régulièrement utilisée en opposition aux « grands » dirigeants du CAC 40 - ou encore « petit boulot », dont la connotation est terriblement négative ! Comment voulez-vous faire « un petit boulot » avec fierté ? Ma conviction sur ce point est que, un pays ou une entreprise qui répète « petit » toute la journée ne peut faire grand. C’est un mot qui, sans en avoir l’air, enferme et limite.

En quoi ce type de langage est-il propre à la France ?  

Aux États-Unis, les mots clés du management sont : « enjoy », « empower » et « care ». Ces concepts fondamentaux de l’esprit d’entreprise américain évoquent le plaisir, la confiance accordée à l’autre et la bienveillance. Or tous trois sont intraduisibles en français, ce qui est révélateur ! À eux seuls ils résument la différence entre deux modèles de management : l’un informel, fondé sur la confiance et acceptant l’échec et donc le risque ; l’autre, encore très hiérarchisé, dominé par la défiance et la peur de l’échec et donc, le manque d’audace. D’ailleurs, là où nous parlons de « prendre un risque » les Américains disent « to take a chance », ce qui montre deux approches opposées : l’une pointant le danger, l’autre l’opportunité. Cette différence de vision est fondamentale.

Pensez-vous que nous ayons conscience d’entretenir une forme de pessimisme par les mots ?

Il existe un début de prise de conscience mais celle-ci demeure insuffisante. Le phénomène de contagion émotionnelle par le langage est encore largement sous-estimé. Le mot « service » vient du latin servus, qui signifie esclave - ce qui peut expliquer notre réticence dans ce domaine-. Quant à « travail », il vient de tripalium qui était un instrument de torture. Preuve que les mots influent sur notre perception du réel…

Propos recueillis par Caroline Castets

¹Ne me dites plus jamais bon courage ! et Tout va mal, je vais bien… , de Philippe Bloch, éditions Ventana

 

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