Xavier Darcos a présenté, le 9 octobre 2009, un plan d’urgence pour la prévention du stress au travail. Cependant, il ne s’agit là que de la dernière contribution gouvernementale à l’édification d’un corpus juridique protecteur déjà bien avancée.

Par touches successives, la jurisprudence a depuis longtemps pris en compte les risques psychosociaux. Trois axes de cette reconnaissance méritent un examen particulier : l’émergence d’une obligation de sécurité de résultat à la charge des employeurs, le renforcement du rôle du CHSCT et l’application de la législation sur les accidents du travail aux conséquences du harcèlement moral ou du stress au travail.
- Précurseur en la matière, la Cour de cassation définissait dès 1984 les contours de l’obligation pesant sur les employeurs. Dans une espèce concernant un salarié expatrié, elle affirmait ainsi qu’une société « avait commis une faute, ses prérogatives de direction l’obligeant à prévoir, et éventuellement à pallier les risques particuliers auxquels elle exposait » ses salariés.
Transposant les dispositions de l’article 5.1 de la Directive 89/391 CEE du 12 juin 1989, la loi n°91-1414 du 31 décembre 1991 a introduit quelques années plus tard, à l’article L.230-2 I devenu L.4121-1 du Code du travail, l’obligation pour l’employeur de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ». La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 est venue préciser que la santé physique mais aussi mentale des travailleurs devait à ce titre être préservée.
- C’est dans ce contexte que la jurisprudence confirme à plusieurs reprises que l’employeur est tenu à une obligation de résultat, notamment quant à la santé mentale1. Par ailleurs, le CHSCT s’impose alors de plus en plus comme un acteur majeur de la prévention des risques psychosociaux2. Symptomatique de cette montée en puissance, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt remarqué du 28 novembre 2007, qu’un projet d’évaluation du personnel au moyen d’entretiens annuels devait être soumis à la consultation du CHSCT dès lors notamment que les modalités et les enjeux de ces entretiens étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail.
L’arrêt SNECMA du 5 mars 2008 n’a fait qu’accroître l’influence grandissante de cette institution en érigeant l’obligation de sécurité de résultat en limite au pouvoir de direction de l’employeur. C’est en effet la première fois que la Haute Juridiction suspend une réorganisation au motif qu’il est interdit à l’employeur, « dans l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ».
Enfin, les juges du fond, confortés par la Cour de Cassation, n’hésitent plus à reconnaître que le stress peut être à l’origine d’un accident du travail. Ainsi, une dépression nerveuse soudaine, provoquée par un entretien dévaluation (Cass. 2e civ. 1er juillet 2003) ou par l’annonce brutale d’une mise à pied (CA Bordeaux 26 février 2009), a été reconnue en tant qu’accident du travail, de la même façon qu’une rupture d’anévrisme subie par une salariée éprouvant un stress d’origine professionnelle (Cass. 2e civ. 5 juin 2008).
La question de la qualification d’accident du travail s’est également posée face aux situations les plus extrêmes que constituent les suicides de salariés. Ainsi, la tentative de suicide commise par un salarié à son domicile pendant un arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif a été analysée comme un accident du travail (Cass. 2e civ. 22 février 2007). Quelques mois plus tard, la Cour de cassation a considéré qu’il appartenait aux juges du fond de rechercher si les circonstances dans lesquelles était intervenu un suicide, conséquence directe du harcèlement moral3 subi par la victime dans l’entreprise, ne conduisaient pas à le qualifier d’accident du travail.
Les conséquences, notamment pécuniaires, d’une telle reconnaissance, impulsée parfois par le médecin du travail, ne sont pas négligeables pour les employeurs. Il s’agit principalement d’une augmentation du taux de la cotisation patronale ATMP applicable à leur établissement (en cas de soumission à la tarification réelle ou mixte) ainsi que de l’application, le cas échéant, des dispositions relatives à la faute inexcusable.
En parallèle de ce développement jurisprudentiel sur le thème des risques psychosociaux, le Gouvernement s’est récemment emparé de l’enjeu que constitue la santé au travail et manifeste une volonté forte de concrétiser rapidement des avancées significatives en la matière.
C’est dans le cadre de l’Europe qu’à été impulsé le premier mouvement de prise en compte du stress au travail avec la diffusion en 2004 d’un accord-cadre postulant que « le stress au travail est considéré sur le plan international, européen et national comme une préoccupation à la fois des employeurs et des travailleurs ».
En France, l’année 2008 a marqué un tournant dans la prise en considération du stress au travail.
- Fin 2007, le ministre du travail de l’époque confiait en effet à Philippe Nasse, magistrat honoraire, et Patrick Legeron, médecin psychiatre, le soin d’établir un rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail. Achevé en mars 2008, ce rapport devait permettre la mise en place d’un système d’observation du stress et servir de base aux discussions à venir avec les partenaires sociaux.
C’est ainsi qu’une négociation sur le stress au travail a abouti à un accord national interprofessionnel le 2 juillet 2008, étendu par arrêté du 23 avril 2009, visant à transposer l’accord cadre européen du 8 octobre 2004.
Une définition du stress a été adoptée à cette occasion : « un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ».
Poursuivant sur cette lancée, le ministère du travail a réalisé une campagne radio de sensibilisation sur les risques psychosociaux, largement diffusée au printemps dernier, et a mis en place le site Internet www.travailler-mieux.gouv.fr.
Parachevant l’édifice, Xavier Darcos a présenté le 9 octobre dernier, lors d’une réunion du Conseil d’orientation des conditions de travail, un plan d’urgence pour la prévention du stress au travail.
Mesure phare du plan d’urgence : au 1er février 2010, les entreprises de plus de 1 000 salariés devront avoir ouvert des négociations sur le stress au travail, ou, à tout le moins, avoir réalisé un diagnostic et un plan d’action. Après le premier bilan de février 2010, il serait envisagé d’abaisser le seuil des 1 000 salariés.
Certes, pas plus que l’accord cadre européen et l’ANI, ce plan Darcos n’est, d’un strict point de vue juridique, contraignant pour les entreprises.
Mais il est prévu que ce soit la pression de l’opinion publique qui sanctionne les «mauvais élèves». En effet, les sites Internet des services de l’Etat publieront les noms des entreprises qui n’auront pas fait d’effort, à côté de ceux des sociétés dont les bonnes pratiques seront valorisées. Le Gouvernement n’exclut pas, dans un avenir plus ou moins proche, la mise en place de sanctions financières. 
D’après nos informations, pour apprécier si une entreprise a initié sur des bases sérieuses la démarche de prévention, il serait tenu compte :
- d’une part, des moyens mobilisés, afin de s’assurer que l’action de l’entreprise ne se limite pas à une opération de communication,
- d’autre part, du caractère concerté de la démarche engagée, l’ensemble des acteurs de l’entreprise, susceptibles d’apporter une expertise sur le thème du stress, devant être associés en vue de mener une réflexion commune.
L’année 2010 sera aussi celle du second plan Santé au travail (2010-2014) et continuera sans aucun doute à être marquée par la «chasse» aux risques psychosociaux dans les entreprises.
L’objectif poursuivi est louable : il faut, à l’évidence, que les employeurs anticipent les risques que peut générer le stress, précisément pour éviter d’être confrontés à des contentieux tels que ceux décrits ci-dessus.
Mais la méthode et le délai apparaissent critiquables, a fortiori dans un calendrier déjà chargé pour les entreprises (négociation sur les seniors, sur les handicapés, …) : ainsi, seules les entreprises qui ont déjà été confrontées aux risques psychosociaux seront sans doute en mesure de consigner  dans un accord ou d’améliorer leurs pratiques déjà existantes en la matière.
En revanche, les entreprises ne s’étant pas encore engagées sur la voie de la prévention du stress auront manifestement des difficultés, pour réaliser avant la date butoir, ne serait-ce que le diagnostic qui semble le préalable nécessaire à toute démarche de prévention du stress.

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