Alors que le monde politique est secoué par la dissolution surprise décidée par Emmanuel Macron, le CNB met l’accent sur les valeurs de la profession d’avocat : respect de la dignité humaine, pluralisme, non-discrimination, tolérance, égalité entre les hommes et les femmes. Des avocats ont saisi le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel pour obtenir le report des élections. D'autres sont candidats.

Vendredi 14 juin 2024, le Conseil national des barreaux (CNB) faisait une piqûre de rappel sur les valeurs de la profession d’avocat. Son assemblée générale a adopté une résolution qui réaffirme, en ces temps d’instabilité politique, les valeurs des robes noires.

Le CNB insiste sur “l’attachement indéfectible” de la profession à l’État de droit et à la démocratie, aux principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité, à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la possibilité de recours individuels devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’occasion aussi pour l’institution de louer la construction européenne et ses valeurs, consignées d’ailleurs dans l’appel de Vienne de juin 2022 : respect de la dignité humaine, pluralisme, non-discrimination, tolérance, égalité entre les hommes et les femmes… des “valeurs communes aux États membres et aux États européens.

Déclaration apolitique

À l’heure où les prises de position fusent pour inciter à faire barrage, dans les urnes françaises à la fin juin, à l’installation de l’extrême droite au pouvoir, l’institution a jugé bon de rappeler les idéaux des sociétés progressistes. Des objectifs qui alimentent son travail de régulation de la profession et guident certaines de ses actions : ses participations aux marches des fiertés, ses actions de terrain de la commission égalité du CNB, sa contribution à la mise en route d’une plateforme “égalité contre le racisme” en 2018, sa vaste campagne de communication nationale pour lutter contre toutes les formes de discrimination en 2023…

La déclaration du CNB du 14 juin ne revêt aucun caractère politique. Impossible d’y déchiffrer une quelconque incitation de vote. Mais il arrive aux avocats de franchir le pas. En 2017, 1 690 d’entre eux avaient lancé un appel à voter Macron et alerté sur la volonté de Marine Le Pen de renverser “ces valeurs [la justice, l’égalité, la sécurité, la fraternité, le pluralisme des opinions et le respect des croyances] au profit de l’autoritarisme, de la xénophobie, du repli sur soi, du corporatisme et de la haine de l’autre”. Figuraient des noms connus parmi les signataires : Pierre Hoffman, bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris, Basile Ader, Emmanuel Daoud, Kami Haeri, Richard Malka, Jean-Pierre Versini-Campinchi, Sabrina Goldman… La conférence des bâtonniers avait quant à elle rappelé le rôle de l’avocat, celui de défendre des libertés fondamentales, celle de la liberté d’expression, celles de l’indépendance et de l’impartialité de la justice, celle de la liberté de la défense.

Les avocat.e.s, notamment celles et ceux intervenant en défense des minorités et des droits de l'homme, sont perçus comme des contre-pouvoirs à surveiller voire à faire taire. Dans tous les régimes d'extrême droite (Hongrie, Turquie, Brésil de Bolsonaro...), les avocat.e.s ont subi des menaces, mesures de rétorsion, emprisonnements, etc.” Yannis Lantheaume sur le réseau social LinkedIn

Cette année, un autre collectif d’avocats appelle à voter pour le Nouveau Front Populaire. Et pas par défaut : les signataires de la tribune publiée dans Libération se félicitent de cette union de la gauche, “seule alternative au duo Macron-Bardella”. Le papier exprime une lassitude vis-à-vis de la ligne du parti présidentiel, entre la bascule dans le droit commun de mesures d’exception de l’état d’urgence, la répression des manifestations, l’abus du 49-3 ou encore l’adoption de la loi immigration. Il porte aussi la crainte de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et d’une politique raciste et réactionnaire. “Nous refusons la continuité d’une politique de lente érosion des principes démocratiques dans le cadre d’une majorité soutenant Macron, tout comme nous ne pouvons pas nous résoudre à la bascule sinistre que constituerait la constitution d’un gouvernement sous l’égide du RN.” Parmi les signataires : William Bourdon, Jean-Pierre Mignard, Guillaume Martine, Claire Dujardin, Lucie Simon… Un avocat en droit des étrangers, Yannis Lantheaume, se désolait sur LinkedIn que le monde des avocats soit “tragiquement silencieux […] quant aux conséquences d'une victoire du RN aux élections législatives”. Il invite ses confrères à se rappeler du mépris de ce clan politique pour l’institution judiciaire, de sa méfiance pour les conventions internationales (“notamment celles signées après la Seconde Guerre mondiale pour graver dans le marbre la recherche de la paix sur le continent”). Selon son analyse, dans les régimes d’extrême droite, les avocats sont perçus comme des “contre-pouvoirs à surveiller voire à faire taire”, avec des exemples à l’appui : la Hongrie, le Brésil et la Turquie. L'association des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE) a rappelé dans un communiqué que le rôle de la nouvelle assemblée qui se dessinera après les élections : “Elle crée le droit, notre droit”. Et d'ajouter : “Nous serons vigilants à ce que ce droit ne soit pas n’importe quel droit”

Autre tribune publiée dans Le Monde, celle co-signée notamment par François Zimeray, avocat aux barreaux de Paris et de Genève et ancien ambassadeur, et par l'épouse de feu Robert Badinter, Elisabeth Badinter. Ici, on clame “refuser l’enfermement politique entre les deux extrêmes en apportant nos suffrages” et on s'engage à ne voter ni RN, ni LFI. Deux anciens ministres figurent parmi les signataires : Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Dans les Échos, une autre tribune récolte des signatures. Dedans, on parle de la peur d'un candidat qui se “targue de mettre au pas le conseil constitutionnel”, de l'idée inquiétante d'une présomption de légitime défense des policiers, ou encore de la crainte des discours eurosceptiques.

Recours contre la tenue des élections anticipées

L’incertitude n’est pas que politique. Des voix s’élèvent au sujet des élections législatives anticipées et du respect de la Constitution. Le 12 juin, l'avocat et candidat nantais Bertrand Salquain, a lancé une procédure de référé-liberté devant le Conseil d’État pour obtenir la suspension du décret présidentiel du 9 juin portant sur la date des élections législatives. Selon lui, les démarches pour présenter une candidature électorale sont “tout simplement incompatibles avec le délai de vingt jours de cette élection, à moins d’être déjà député ou soutenu par un parti”. Comprendre : tous les candidats ne seraient pas égaux face aux échéances électorales. Olivier Taoumi, avocat inscrit au barreau de Marseille, a déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, à l’instar de l’association Adelico. Dans ces argumentaires, on pointe le non-respect du délai de vingt jours entre la dissolution de l’Assemblée nationale et le premier tour du scrutin dans le cas du vote anticipé dans certaines circonscriptions à l’étranger ou en outre-mer. Adelico craint une atteinte à la sincérité du scrutin. Jeudi 20 juin, le Conseil constitutionnel a rejeté dix recours contre le décret qui organise les élections législatives.

 Avocats candidats

Sur les 4 005 candidats aux législatives, 488 ont des professions libérales. Quelques robes noires font partie du lot des investis: Rachel Flore-Pardo (Ensemble ! majorité présidentielle) dans la 5e circonscription de Paris, Frédéric-Pierre Vos (l’avocat du Rassemblement national) dans l’Oise, Raphaël Kempf (La France Insoumise) dans la 1re circonscription de Paris, Boris Chong-Sit (Divers droite) en Guyane, Alexandre Silva (majorité présidentielle) dans la Loire, Nordine Tria (Divers) dans le Gard, Bertrand Salquain (Divers centre) dans le Maine-et-Loire, Patrice Pauper (Rassemblement national) dans l’Eure… etc. 

Anne-Laure Blouin

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