Le 21 mai 2024, le Conseil de l’ordre du barreau de Paris a acté la mise en place d’un dispositif appelé “Refuge-Avocats”. Destiné à protéger les avocats victimes de harcèlement et de discrimination ou d’autres violences, ce programme consiste à leur offrir des conditions matérielles d’exercice transitoires. Il sera testé entre juillet et décembre 2024. 

Le barreau de Paris va tester pendant les six prochains mois un dispositif d’urgence pour les avocats harcelés ou discriminés. Le principe est simple : “Lorsque la sécurité physique ou morale des avocats est menacée au sein de leur cabinet, une mesure d’urgence leur permettra de bénéficier d'une domiciliation temporaire auprès du Centre d’affaires des avocats de Paris (CDAAP), dans la limite des places disponibles.” Et cela aux frais de l’ordre. Les avocats en détresse pourront souffler pendant six mois, la domiciliation d’urgence étant limitée à une durée de trois mois, renouvelable une fois.

70 % des victimes se taisent

Conçu pour faire face au mal-être des avocats tourmentés au travail, le dispositif s’appuie notamment sur un état des lieux dressé par un sondage de la Commission harcèlement et discrimination du barreau de Paris (ComHaDis) de 2022. À l’époque, près de la moitié des 1 154 répondants (44 %) admettaient avoir été témoins de discrimination et pour 81 % il y a moins de cinq ans. Sur l’ensemble des avocats sondés, 38 % disaient avoir été victimes de faits de harcèlement, 27 % de faits de discrimination, ce dernier taux comprenant les motifs relatifs à l’identité de genre (40 %) et ceux liés à la grossesse (31 %). Fait à noter : les jeunes et les femmes ont répondu plus massivement au sondage, signe sans doute que le sujet les interpelle davantage. Parmi les répondants, 63 % avaient moins de 40 ans à l’époque du sondage ; 69 % des réponses étaient formulées par des avocates et près de la moitié des répondants étaient des collaborateurs (44 %). Un chiffre surtout donne toute sa pertinence au dispositif Refuge-Avocats : c’est le pourcentage de victimes de harcèlement ou de discrimination qui se taisent. Que ce soit pour “tourner la page”, par manque de preuves, parce qu’elles imaginent le recours comme inutile ou qu’elles craignent les représailles, elles sont 70 % à ne pas faire remonter leur situation aux organes compétents.

Le sujet n’est pas nouveau. En septembre 2019, le CNB, la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris avaient signé, en présence du Défenseur des droits, une "charte relative à la lutte contre les discriminations et le harcèlement dans la profession d’avocat". Cette charte prévoit la désignation de référents locaux au sein de chaque barreau pour recueillir la parole des avocats victimes de harcèlement ou de discrimination et faire remonter les informations au bâtonnier. “Le premier étage de la fusée du dispositif mis en place par l’association pour endiguer le phénomène de discrimination et de harcèlement”, expliquait l’ancienne bâtonnière Marie-Anne Mendiboure, responsable du groupe de travail Harcèlement et discrimination du CNB. Les 163 barreaux de province ont également lancé en mai 2023 une plateforme en ligne pour faciliter les démarches des avocats qui, les bâtonniers l’ont constaté, sont plus enclins à signaler leurs déboires sur les réseaux sociaux.

Exfiltration d’une situation de crise

Si le barreau de Paris monte d’un cran dans la protection des avocats, il précise que la mise en œuvre de cette mesure refuge “se fera aux risques et périls du bénéficiaire”. Qu’elle n’établira pas la matérialité des faits dénoncés, pas plus qu’elle ne garantira de suites disciplinaires. Même chose pour les contrats en cours – de collaboration ou association – entre l’avocat bénéficiaire du dispositif et celui à qui il reproche tel ou tel comportement ou le cabinet : la mesure d’urgence se limite à offrir une exfiltration d’une situation problématique, et pour “assurer une continuité d’exercice en temps de crise”. Seules certaines crises défraient la chronique : le bordelais Lexco condamné en 2021 pour avoir licencié une avocate enceinte de six mois et, demain, l’américain EY condamné en juin 2022 pour des faits similaires, l’avocat Emmanuel Pierrat sanctionné par un an d’interdiction d’exercer pour harcèlement en mars 2023, le cabinet Racine condamné en appel en 2021 pour harcèlement moral, l’avocat Jean-Georges Betto condamné à dix mois de prison avec sursis pour harcèlement sexuel et moral en janvier 2024, l’enquête sur l’avocat Antoine Vey lancée le mois suivant…

Dans un autre registre, une initiative similaire avait vu le jour à Poitiers, où le barreau a mis en place il y a près de dix ans “La Casa”, une cellule d’aide et de soutien aux avocats en souffrance économique.

Anne-Laure Blouin

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