Le Parquet national financier livre les chiffres de l’année 2023. Le nombre de condamnations a grimpé, passant de 70 en 2022 à 111. Un bilan à mettre en perspective avec les résultats de l’indice de Transparency International tombé à la fin du mois de janvier.
Bilan 2023 du PNF : l’année fut productive mais la corruption n’a pas reculé
Plus de 500 personnes condamnées et 12 milliards d’euros reversés au Trésor public en une décennie. Depuis sa création, le Parquet national financier (PNF) n’a pas chômé. En 2023, ce sont quelque 111 personnes qui ont été condamnées contre 70 en 2020, et 40 en 2021.
Parquet sous-doté
7 mai 2013. Le communiqué de pressedu conseil des ministres souligne que “ces affaires [corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, pantouflage, favoritisme, détournements de fonds publics, fraude fiscale, etc.] nécessitent (…) une grande spécialisation des magistrats et une centralisation des moyens et des compétences”. Et annonce la création à terme d’un parquet spécialisé (le PNF, parquet national financier) d’une cinquantaine de postes de magistrats (notamment 22 magistrats du parquet et 10 juges d'instruction) et d’assistants spécialisés. Selon une étude d’impact concernant la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, il faudrait 22 juges. Dix ans après, le PNF n'en comptabilise que 20. Ils étaient 18 en 2022 et deux magistrats supplémentaires sont venus renforcer les effectifs du PNF en 2023. Ces juges qui travaillent en binôme sur 90 dossiers en moyenne sont épaulés par 8 assistants spécialisés (contre 6 l’an passé), deux juristes (contre 1 pour 2022) et un assistant de justice. Pour certains, le PNF reste sous-doté. À commencer par son chef, qui avait indiqué sur France Inter en février 2023 un manque de moyens et d’actions. Selon l’ONG Transparency International, l’autorité “dispose de moyens inversement proportionnels aux sommes en jeu dans les affaires de corruption”.
Saisies record de 461 millions dans le Triangle d’or
À la lecture du bilan 2023, on peut conclure que, sans atteindre les objectifs d’effectif fixés en 2013, le PNF a fait une bonne année. À la fin du mois de mars de l’année dernière, il a procédé à des perquisitions d’envergure aux sièges de 5 banques (BNP Paribas, Société générale, Exane, Natixis et HSBC) dans des dossiers de blanchiment aggravé. Deux mois après, en mai, son travail a abouti à la condamnation par le tribunal de Paris du financier Thierry Boutin – qui a écopé de deux ans de prison et d’une amende de plus de 2 millions d’euros pour avoir manipulé le cours du titre Dolphin, et réalisé une plus-value de 2,6 millions d’euros. Au mois de juin 2023, des saisies record de 461 millions d’euros chez un multipropriétaire du Triangle d’or parisien, dans le cadre d’une procédure pour blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée, ont fait les gros titres. Selon le Monde, cette somme avoisine le montant annuel des saisies opérées en France. Une pêche miraculeuse dans le milieu opaque de l’immobilier: le rapport Face à un mur d’opacité de Transparency International révèle que pour les deux tiers des biens immobiliers détenus par des sociétés en France, l’identité des propriétaires demeure inconnue.
Lire aussi L’AFA et le PNF publient un guide détaillé sur les enquêtes internes anticorruption
C’est aussi en juin 2023 que le tribunal homologue une CJIP entre le PNF et deux groupes pétroliers, laquelle se chiffre à 208 millions d’euros. Soit presque quatre fois plus que le montant moyen des amendes négociées dans les CJIP depuis six ans (53 millions d’euros). Au-delà des retombées monétaires pour le Trésor, Jean-François Bohnert, procureur du PNF, rappelle l’intérêt de la CJIP dans son édito pour 2024 : “Placer l’entreprise concernée dans une position nouvelle de coopération avec l’autorité judiciaire, en contribuant aux investigations par le biais d’une enquête interne, voire en lui révélant les faits”. Toujours dans son édito, il ne minimise pas les défis à venir, procéduraux ou en matière de coordination internationale. Sur ce point, la lecture de la synthèse rassure : “Le PNF a développé ces dernières années un réseau de contacts de plus en plus dense auprès d’autorités administratives françaises et étrangères afin de favoriser la détection des faits”. Le parquet spécialisé a renforcé au fil des ans sa coopération avec la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, Tracfin, l’Agence française anticorruption, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, Transparency International ou encore la Maison des lanceurs d’alerte.
Augmentation de 28 % des atteintes à la probité entre 2016 et 2021
Sur son propre territoire, la France semble pourtant stagner dans la lutte contre la corruption. Transparency France twittait sur X (ex-Twitter) que le constat global tiré de l’indice de corruption 2023 selon lequel les États semblent incapables de maîtriser la corruption, en raison de l’affaiblissement de leurs systèmes judiciaires, vise aussi la France, classée à la 20e place de l’Indice de perception de la corruption pour 2023. Selon l’ONG, “la France obtient un score de 71 à l’Indice de perception de la corruption 2023, soit la même note qu’en 2013”, l’année de création du PNF. Et d’ajouter : “En dix ans, la France ne semble pas avoir tiré profit de la montée en puissance de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), de l’Agence française anticorruption (AFA), du Parquet national financier (PNF), de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ou encore d’un statut de lanceur d’alerte parmi les plus ambitieux au monde.” Une étude statistique du ministère de l’Intérieur et de l’Agence française anticorruption pointe une augmentation de 28 % des atteintes à la probité entre 2016 et 2021.
Une institution qui dérange
Pour Transparency International, l’Hexagone manque de volonté politique pour lutter efficacement contre la corruption. L’organisation fustige le manque d’exemplarité des pouvoirs publics. Les affaires Griset, Dupond-Moretti et Dussopt ont démontré qu’un ministre mis en examen gardait sa place au gouvernement, quitte à instaurer un climat délétère pour la démocratie. Dans un podcast de France culture, Roseline Letteron, professeur agrégée de droit public à l'université de Paris 4, spécialiste des libertés publiques, estime que le PNF est une “institution qui dérange pas mal de monde”. Elle s’explique : “C'est une institution qui est chargée de lutter contre la corruption. Il y a un certain nombre de politiques qui, dans le fond, ne seraient peut-être pas fâchés de porter des atteintes importantes au parquet.” Les chiffres du PNF peinent à masquer le fait que la bataille contre la délinquance financière et économique piétine. François Bohnert ne perd pourtant pas de vue les enjeux de la lutte : la “préservation du pacte républicain”.
Anne-Laure Blouin