Le professeur émérite de droit François Terré s’est éteint

Tous les juristes connaissent ce nom : Terré. S’il renvoie à l’ouvrage de droit des obligations indispensable aux étudiants de deuxième année de droit, il désigne surtout François Terré, tête pensante du droit civil. Mais pas que : droit de la famille, droit des successions ou encore responsabilité médicale. Membre de l'Académie des sciences morales et politiques et professeur émérite depuis les années quatre-vingt-dix, François Terré n’a pas attendu la fin du siècle pour briller. Né à l’aube de la Seconde Guerre mondiale en 1930, il rafle à 20 ans le prix Goullencourt et le concours général des facultés de droit. En 1955, il achève sa thèse, encore éditée aujourd’hui, L'Influence de la volonté individuelle sur les qualifications, qui remporte le prix Dupin Aîné.

Entre 1954 et 1957, François Terré s’essaye à la profession d’avocat, à la cour d’appel de Paris. Quelques mois suffisent pour le renvoyer à une carrière universitaire. Il enseigne à la faculté de droit de Strasbourg dès 1955 et, en 1957, il quitte la France deux ans pour enseigner à Phnom Penh, au Cambodge, des “années bénies”. Avant de s’établir définitivement à Assas en 1969, il donne des cours dans l’Est, à Strasbourg encore, dans le Nord, à Lille, ainsi qu’à Nanterre. Membre correspondant de l'académie d'Athènes en 1993 puis de l'académie des sciences de Lisbonne en 1998, il cultive ses relations avec l’international. Quelques années plus tard, il reçoit quelques honneurs italiens et roumains avec le titre de docteur honoris causa en droit de l'université de Naples - Frédéric-II en 2008 et de l'université de Bucarest en 2013.

Esprit libre

La réflexion de François Terré ne se cantonne pas aux amphithéâtres. Dès 1960, il offre ses services au gouvernement, tout en refusant de devenir lui-même une personnalité politique. Il était trop épris de liberté et d’indépendance pour cela. Conseiller technique de Jean Foyer, ministre de la Coopération puis ministre de la Justice, il corédige le projet de loi qui aboutira à la promulgation de la loi du 24 juillet 1966 sur le droit des sociétés commerciales. Il siège en parallèle à la commission de réforme du Code de procédure civile. Soutien du Rassemblement pour la République, il contribue également au cercle de réflexion métapolitique très libéraliste, le Club de l’horloge. À ses heures perdues, le professeur écrivait régulièrement pour le Figaro sur l’adoption, la justice, la Constitution…

Mythe

En 2016, lorsque les étudiants de droit abordent l’ordonnance de réforme des droits des obligations, ils comparent les deux projets qui ont nourri le texte : le “projet Terré” et “l’avant-projet Catala”. À l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques, section “Législation, droit public et jurisprudence”), le professeur Terré a conduit les recherches d’un groupe de travail sur les obligations de droit français (le projet Terré) qui inspirèrent le projet de réforme du droit des contrats présenté par le ministère de la Justice au gouvernement en 2008. François Terré a également travaillé à dépoussiérer les régimes de responsabilité civile.

Le maître à penser du droit civil est souvent décrit comme un “personnage”. Denis Mazeaud, qui raconte leur première rencontre alors qu’il n’est qu’un étudiant, écrit : “Je me rappelle parfaitement m’être dit en regagnant mes pénates banlieusards de l’époque : ‘Ce mythe est un sacré pitre.’” L'un de ses confrères et ami, l’enseignant-chercheur Nicolas Molfessis, se souvient quant à lui pour le Figaro que les cours de François Terré étaient de véritables spectacles. “Il donnait ses cours sans notes, bondissait d'une travée à l'autre.” C’est un phénomène qui s’en est allé.

Anne-Laure Blouin