Capter l’humain. Voilà qui relève tant de l’art que de l’avocature pour Caroline Henry, fondatrice de Phase 4, le cabinet spécialisé dans le secteur de la santé, mais aussi photographe à ses heures perdues. Portrait d’une femme qui porte sur les autres un regard limpide.

Café de l’hôtel Shangri-La. Caroline Henry, qui vient d’arriver, tend l’oreille. Aux harmonies fraternelles d’Angus et Julia Stone, l'avocate pleine de verve se détend. Et nous raconte.

Mise au point

Emprunter la voie de l’avocature était une évidence pour Caroline Henry. Néanmoins, après le bac, elle ne s’inscrit qu’en école de photographie. Sa mère la convainc d’également faire son droit. "J’ai fait beaucoup des deux", murmure-t-elle. Et aujourd’hui encore, ces deux passions animent celle qui est portée par cette envie de "capter les personnes par petites touches, au-delà de ce qu’elles ont envie de renvoyer".

Photographie et danse

Plus jeune, elle développe seule ses clichés dans le cabinet médical de sa mère. "Tout est tellement tranquille quand les photos se révèlent. Une paix dans le processus, le noir." Passionnée par l’argentique, l’experte auprès de Cap Digital s’adonne aux portraits en noir et blanc qui "en disent beaucoup sur les gens. Les ombres, la lumière, les rides et les expressions donnent beaucoup plus que la couleur, affirme-t-elle avec un regard intense qui s’accroche à chaque micro-expression. Ce n’est pas si loin de ce qu’on fait non plus en tant qu’avocat."

Caroline Henry est aussi ballerine. "Quand on danse, on en dit un peu… Quand on plaide, on en dit un peu..." Selon elle, l’art permet "d’attraper le monde et de restituer l’émotion qu’il provoque". Un état d’esprit que l’avocate retrouve dans le droit... et qui l’aide à traiter les dossiers dont elle a la charge... Car, dans le domaine de la santé, "l’émotion est à tous les étages. C’est toujours une histoire d’être humain et de condition humaine".

"J’ai eu ma première émotion artistique grâce à un peintre japonais" 

Au quotidien, celle qui est devenue vice-présidente du Healthcare Data Institute approfondit la danse moderne et contemporaine. Et ce, malgré l’urgence de ses dossiers. "Quand j’ai commencé, on ne parlait jamais de limite horaire, de week-end ou de jour férié. Le métier était une cause que personne ne songeait à discuter." Elle admire la nouvelle génération, qui parvient mieux à lâcher prise. Si l’"étanchéité absolue" est incompatible avec un "vrai engagement", elle reconnaît bien volontiers que les jeunes avocats "se préservent" et "ne bossent pas forcément plus mal". Avec légèreté, elle parle de ces affaires auxquelles "on repense sous la douche, tant qu’on n’a pas craqué le sujet". Et de l’émotion qu’il faut gérer : "Ce qui redescend après l’audience."

Plus jeune, son rituel pour "repartir dans la vie" consistait à s’acheter des chaussures. Désormais, ce sont ses enfants qui la rappellent sur terre. "Il y a un avant et après quand on a des enfants. Avec eux, on est obligé de revenir ici et maintenant, constate-t-elle. On les voit tous les matins et tous les soirs." Sur Terre, justement, l’Asie l’attire. "C’est mon centre", confie l’avocate parisienne qui éprouve une "passion absolue" pour le Japon, le pays du Soleil-Levant lui évoquant un sentiment familier, "comme si vous saviez que vous êtes chez vous".

Toile

Son regard s’évade une seconde. "J’ai eu ma première émotion artistique grâce à un peintre japonais", dit-elle. Place des Vosges, alors qu’elle sort d’un cours de danse, elle est happée par une œuvre intense exposée dans une galerie. La toile "très étrange" et hors de ses moyens, représente "de manière colorée et figurative" une grande intersection dans le quartier de Shibuya à Tokyo. "Tous les jours, je suis passée devant ce tableau, se remémore-t-elle. Jusqu’à ce qu’on le vende." Un pincement au cœur devant cette galerie vide, mais une joie des années plus tard en surfant sur le Web lorsqu’elle tombe sur l’œuvre mise en vente par un collectionneur de Dubaï. La cote étant à la baisse, elle l’achète. "J’ai fait un acte économiquement déraisonnable", sourit la vice-présidente du Healthcare Data Institute. Depuis quinze ans, ce tableau ne la quitte plus.

Personnages

Après une dernière gorgée de café, Caroline Henry évoque l’écriture, le "silence et la connexion à soi-même" qu’elle permet. L’enseignante à Paris-Dauphine a pour projet de publier un ouvrage juridique "depuis trop longtemps", mais elle écrirait volontiers un roman. Elle souhaiterait "faire vivre des personnages, des personnes [qu’elle a] rencontrées, qui [l]’ont fait réfléchir, qui ont changé [sa] vie". Et faire le lien entre ces gens inspirants, ce qu’elle a perçu en eux "de plus intime et différent", et les jeunes générations qui déjà ne savent plus qui ils sont. Encore une façon de capter le passé pour le conjuguer au présent.

Alexandra Bui

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