Sabina Comis aurait pu choisir l'Italie, où elle est née. La Suisse, où elle a vécu. Londres ou New York, où elle a exercé. Mais c’est de Paris dont elle rêvait. Et c’est à Paris que cette technicienne du sur-mesure en fiscalité a gravi les marches qui lui ont permis d’atteindre tout récemment la fonction de global managing partner chez l’américain Dechert.
Sabina Comis, technicienne dans l’ombre… et la lumière
Sabina Comis, l’enfant, grandit entourée de couturières et d’une mère dessinatrice dans la mode. Sabina Comis, l’avocate, fait elle aussi du sur-mesure, à sa façon. La fiscalité, voilà ce qui anime la global managing partner de Dechert, née en Italie, passée d’un pensionnat helvétique à la London School Economics et Cambridge. Chez Freshfields London, où elle découvre l’avocature, Sabina Comis rencontre l’équipe tax. C’est la révélation : "Ils sont agiles, brillants, techniques. Leurs parcours impressionnent et pourtant, il n’y a pas d’ego. C’est un monde à part." Elle est envoyée à New York, revient à Londres, atterrit à Paris "sur un coup de tête". À 22 ans, la jeune avocate a déjà vu du pays et aurait pu rester sur une voie toute tracée à Londres, mais elle est fascinée par la capitale française. C’est un coup de fil, cette fois, qui fera le reste : Sabina Comis contacte Philippe Derouin, pape de la fiscalité chez Linklaters. Il lui propose de rejoindre le cabinet, l’avocate pense qu’il "a été audacieux de l’embaucher".
Compter en italien
Passée la surprise de l’arrivée en France, dans une culture de droit civil qu’elle n’a jamais étudiée, Sabina Comis réapprend son métier et une nouvelle façon d’exercer. Se forme au contact de grands avocats d’affaires dont elle se dit qu’ils sont des hommes de droit capables de rebondir sur tous les sujets. Elle vit les temps forts des débuts de Linklaters, pendant lesquels "on travaillait comme des fous et on faisait beaucoup la fête". Tout semble possible à la jeune collaboratrice qu’elle est. Sabina Comis voit "la fiscalité comme un défi avec soi-même, son cerveau et les livres pour trouver une solution". Elle se veut technicienne, facilitatrice de droit. Elle passe ensuite dix ans chez Mayer Brown, où elle apprend la structuration de fonds, et ose finalement le pari Dechert. Ses différentes expériences ont façonné l’avocate ; son profil est rare dans cette matière exigeante qu’est la fiscalité dont elle connaît les trois étages et la verticalité de l’industrie. Pour ses clients, avec lesquels elle a noué des relations de confiance, Sabina Comis est une négociatrice aguerrie. Celle qui considère que "la plus grande erreur des avocats est de vouloir se substituer aux clients et de ne pas savoir rester dans l’ombre" tient à toujours faire les choses bien.
"C'est plus long pour un 'outsider' que pour quelqu'un qui coche toutes les cases"
Dechert lui propose de monter une première marche, celle de co-managing partner du bureau parisien et de membre du policy committee. Puis une autre, "totalement inattendue" : celle de global managing partner de la firme. Pour une femme, non-Américaine de surcroît, la reconnaissance est inestimable. Sabina Comis "commence à en être fière". Elle sait qu’elle veut contribuer à la stratégie globale de Dechert, "voir ce qu’il est possible de faire en dehors des États-Unis, naviguer entre les obstacles". Pas question, pour autant, de grignoter le temps accordé à ses clients. Son équipe, “exceptionnelle sur les plans humain et intellectuel", lui permet de conserver toute la disponibilité nécessaire pour suivre ses dossiers. Le métier est exigeant, elle ne le cache pas. Mais il lui offre la liberté. Elle "n’a pas 50 ans mais a le luxe de choisir ses clients, son équipe et son organisation de travail". L’exigence du métier, finalement, représente "le prix à payer" pour cette flexibilité. Elle doute souvent – "est-ce que j’ai tout vu, tout anticipé ?" –, mais sait qu’elle présente toujours des produits soignés. Quand elle a du temps pour elle, Sabina Comis étudie à l’école du Louvre, emmène ses filles à des expositions et se connecte à ses racines. Elle se verrait faire de l’Histoire de l’art si elle ne portait pas la robe. En Italie, cela va de soi : "Je compte en italien, je cuisine italien, je rêve en italien, je m’emporte en italien." Jamais loin d’un cappuccino ou d’un livre de Giacomo Leopardi, la technicienne lit aussi Marguerite Duras et admire Pierre Soulages.
Élégance intellectuelle
Toute sa carrière, l’avocate a dû observer et prendre du recul. D’abord chez Freshfields à Londres, car elle n’était pas anglaise. Puis chez Linklaters en France, car elle n’est pas française et a été formée à l’étranger. Les dix premières années furent difficiles. "C’est plus long pour un ‘outsider’ que pour quelqu’un qui coche toutes les cases, mais c’est une leçon de résilience." À ses deux filles de 5 et 10 ans, l’avocate dit qu’elles "peuvent tout faire". Elle a su miser sur d’autres forces : l’adaptabilité, l’agilité, l’intuitu personae. Avec le temps, elle a aussi appris à "assumer davantage son côté solaire". L’avocate vit pleinement le moment présent – "le plus beau moment de ma carrière, c’est maintenant" – et veut laisser une empreinte positive derrière elle. Rien ne vaut l’élégance intellectuelle et celle du cœur, pour la global managing partner de Dechert. Elle veut pouvoir "sortir d’une pièce en ayant convaincu, gagner ses points sans arrogance". L’élégance à la française… et puis un peu à l’italienne, à la suisse et à l’anglaise, aussi.
Olivia Fuentes