Cofondateur du cabinet Flichy Grangé, Joël Grangé, qui figure parmi le gratin des avocats en droit du travail en France, s’est confié sur son parcours, ses convictions et ses valeurs professionnelles. Un alliage subtil entre ténacité, rigueur et l’infini plaisir intellectuel de la stratégie.

Fils d’une enseignante et d’un chef d’entreprise, Joël Grangé grandit avec la "valeur travail" chevillée au corps. La devise familiale ? Ce n’est pas le talent qui fait la différence, mais la volonté. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a fait sienne cette philosophie. "Je ne me suis jamais laissé submerger, affirme-t-il d’ailleurs. J’ai une détermination d’acier." Son parcours sans faute en est la parfaite illustration.

Une carrière exemplaire

Il démarre sa carrière en 1987 comme collaborateur chez Gide Loyrette Nouel. Dix ans plus tard, il y est nommé associé, puis responsable du département de droit du travail. Une ascension brillante au sein d’un cabinet qui fait figure d’institution, et pour lequel il garde un profond respect. Il cite d’ailleurs volontiers Jean Loyrette, "le pape du droit des affaires" parmi les avocats qu’il admire, aux côtés de Henri Leclerc et de Robert Badinter. En 2008 toutefois, il prend son envol pour fonder avec Hubert Flichy une structure spécialisée en droit social, qu’il dirige désormais. Aujourd’hui, Flichy Grangé Avocats totalise 27 associés et 50 collaborateurs, et jouit d’une réputation sans faille.

Joel Grangé a donc atteint son objectif, celui de compter parmi les leaders incontestés dans sa matière, mobilisé sur les dossiers de place les plus emblématiques. Comme l’affaire Goodyear, dans laquelle il a défendu le fabricant de pneumatiques à la suite de la fermeture en 2014 de l’usine d’Amiens-Nord. Il évoque le duo formé avec son associée Florence Bacquet, le "feu roulant d’assignations" et l’engagement sans équivoque de son équipe pendant les longues années de cette procédure. "Un vrai tour de force", qui aura marqué l’histoire du cabinet. Une affaire hors norme, il est certain, de la violence du bras de fer social ultra-médiatisé jusqu’aux plaidoiries qui se sont tenues dans une salle de spectacle pour accueillir les plus de 800 demandeurs contestant leur licenciement économique.

La notoriété de ce "patron" du droit social s’est encore renforcée avec son engagement au service de la profession. En 2018, il est élu membre du conseil de l’ordre. Référent du barreau de Paris sur la réforme des retraites, il mène un combat énergique contre le texte, prend la parole, s’expose, malgré son habituelle discrétion. Il fait aussi aboutir des médiations sensibles dans le cadre de son rôle de secrétaire de la commission de l’exercice en groupe. Interrogé sur l’avenir du métier d’avocat, les jeunes générations et leurs difficultés à s’engager, la nécessité d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, Joël Grangé concède que les clients sont extrêmement exigeants, et que la profession devient aride lorsqu’on l’exerce à titre individuel. "Il faut jouer collectif, affirme-t-il. Le collectif, c’est 'la' solution." 

"Le coup d’après"

Les clés de son succès ? "Facile. Je travaille avec des gens très brillants !"  Il tire une grande fierté de sa capacité à détecter les potentiels des individus et considère que sa réussite est directement liée à la façon dont il a réussi à s’entourer d’esprits intelligents, plus intelligents que lui-même assure-t-il. "Quand j’ai repéré quelqu’un, je suis prêt à déployer tous les efforts nécessaires pour le convaincre de rejoindre l’équipe !" Et il ne cesse de recommander cette approche à ses associés. "Je leur demande d’être très toujours très pointilleux dans leurs recrutements."

Cet éminent juriste, qui cultive la simplicité, ne se prête pas facilement au jeu de l’introspection, même professionnelle. Il se lance toutefois et se décrit comme un animal à sang froid. Ce n’est pas le mot de "passion" qu’il choisit pour évoquer ce qui l’anime mais bien plutôt celui de "ténacité". D’ailleurs, les personnalités qui l’inspirent sont celles qui font preuve d’une "capacité à prendre des coups, et à rebondir" et cite – en dépit du politiquement correct – le parcours impressionnant, "à cet égard en tout cas", d’un homme comme Bernard Tapie. 

Un expert du droit du travail qui aime profondément… le travail. Ses yeux pétillent lorsqu’il décrit sa manière de plonger dans un dossier. "J’ai remarqué que je n’aborde pas les problèmes d’une façon conventionnelle, j’ai mon propre regard, explique-t-il. Et j’adore retourner un argumentaire." Un attrait pour le jeu d’échecs et non pas pour l’effet de manches, donc. "C’est souvent une stratégie du billard à trois bandes, raconte-t-il avec gourmandise. C’est toujours le coup d’après qui m’intéresse…" Une posture parfois déroutante pour ses collaborateurs, reconnaît-il. Mais très certainement redoutable pour ses adversaires. Ce qu’ils lui concèdent d’ailleurs bien volontiers. 

Marie-Hélène Brissot

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