Dans le nouveau gouvernement de Michel Barnier dévoilé samedi soir, Didier Migaud, 72 ans, prend les fonctions de ministre de la Justice. L’ancien député fait figure de « jambe gauche de l’exécutif » et devrait être sur un terrain différent de celui de Bruno Retailleau qui hérite de l’Intérieur.

Un magistrat financier à la Justice. La composition du nouveau gouvernement est tombée samedi 21 septembre 2024 au soir. C’est Didier Migaud qui récupère les clefs de la Chancellerie. Ce natif de Tours a passé dix ans à la tête de la Cour des comptes où il assurait la gestion de plus d’un millier de magistrats financiers entre 2010 et 2020. Il succédait à Philippe Seguin, qui avait réussi à détacher l’autorité de la tutelle de Bercy. C’est sa première incursion dans le gouvernement français et ce routard de la vie politique rafle la place de Premier ministre dans l’ordre protocolaire, "un signe positif", selon le bâtonnier Pierre Hoffman.

Contrôle, contrôle, contrôle

Mais depuis quatre ans, Didier Migaud présidait la Haute Autorité de la transparence de la vie publique (HATVP). Pour cet homme de 72 ans, "la transparence n’est pas un objectif en soi, mais un moyen pour que, dans nos démocraties, les citoyens accordent leur confiance à ceux qui les gouvernent". Cela passe selon lui par un contrôle opéré "par des organes indépendants et collégiaux" Il confiait au micro de France Culture en octobre 2023 : "Je crois beaucoup au contrôle". 

Un mantra qu’il suit depuis ses débuts à l’Assemblée nationale où il a représenté l’Isère entre 1988 et 2010. L’Isère, la Nièvre… C’est là que ce licencié en droit et diplômé en droit public et de Sciences Po Lyon dans les années soixante-dix a grandi. Et là que, alors qu’il projette de devenir professeur de droit, entre dans la danse politique. Il n’a finalement jamais terminé sa thèse sur les conseils généraux qu’il avait commencé à rédiger juste avant d’entrer au service de Louis Mermaz, alors président du conseil général de l’Isère, sur les bons conseils de François Mitterrand qu’il croise régulièrement à Chinon, dans la salle à manger de ses parents notamment. Il prend sa carte au parti socialiste juste après la défaite de Mitterrand face à Valéry Giscard d'Estaing. Et le quitte en 2010, laissant de côté sa vie politique, lorsqu’il devient premier président de la Cour des comptes, pour affirmer son indépendance. Au fil de sa carrière, Didier Migaud est devenu le spécialiste des finances publiques. Les questions de contrôle, de régularité, de conformité, sont dans l’ADN de son parcours, répète souvent ce joueur du XV parlementaire. Il aura toutefois réalisé son vœu d’enseignement à l’Institut d’études politiques de Lyon où il a donné des cours entre 1976 et 1985.

“La transparence n’est pas un objectif en soi, mais un moyen pour que, dans nos démocraties, les citoyens accordent leur confiance à ceux qui les gouvernent”

À la tête de l’HATVP, il veut déployer le contrôle et gagner un pouvoir de sanction administrative. Il explique dans une interview au journal Le Monde mal comprendre "la cohérence de celles et ceux qui regrettent une pénalisation excessive de la vie publique, mais contestent dans le même temps à une autorité administrative indépendante la possibilité de prononcer des sanctions administratives". Il réclamait pour son autorité la possibilité de prononcer des sanctions pour des manquements objectifs, le non-respect des obligations déclaratives comme l’absence de dépôt de déclaration. Rien qui n’empiète sur le travail de la justice pénale selon lui. En 2021, il se prononce en faveur du rattachement de l’Agence française anticorruption proposé par les députés Raphaël Gauvain (LREM) et Olivier Marleix (LR). À cette époque, ce comptable public militait également pour un renforcement des moyens du Parquet national financier (PFN) pour que la France rattrape son retard en matière de lutte contre la corruption.

Budget à la hauteur des enjeux

Autre fait notable de sa carrière : l’arbitrage Tapie. Sous la houlette de Didier Migaud, la Cour des comptes avait émis des doutes sur la pertinence de l'arbitrage pour régler le litige opposant depuis plus de quinze ans l'homme d'affaires au Crédit lyonnais à propos de la vente d'Adidas. Un arbitrage annulé par une décision de la Cour d’appel de Paris en 2014, validée deux ans plus tard par la Cour de cassation. C’était à l’initiative de Didier Migaud que la Commission des finances avait mené une série d’auditions pour faire la lumière sur les conditions dans lesquelles l’arbitrage a été obtenu. Parmi les autres lignes de son très long curriculum vitae, celle qui indique sa fonction de juge titulaire de la controversée Cour de Justice de la République, entre 1993 et 1997.

Si le bâtonnier Pierre Hoffman a fait bon accueil au nouveau garde des Sceaux, l’avocat en a profité pour interpeller le nouveau ministre sur la problématique phare de la justice : "Un budget à la hauteur des enjeux". Les magistrats n’ont pas sorti la hache de guerre comme à la nomination polémique d’Éric Dupond-Moretti en 2020. Inquiétée par l’absence de conseiller Justice place Beauvau et d’avoir une justice "accessoire de l’intérieur", l’Union syndicale des magistrats se veut rassurée par ce nouveau ministre qui a "une idée du fonctionnement de la justice", fort de son expérience à la Cour des comptes. Au sein du Syndicat de la magistrature, c’est le profil “expert du budget” qui laisse dubitatif. L’organisation de gauche pointe aussi la potentielle faiblesse du ministère de la Justice face à un Bruno Retailleau à l’Intérieur. Dans la presse, les commentaires ne sont pas tous aussi chaleureux. Chez Libération, on s’interroge sur le fond de la pensée de Didier Migaud, soumis à un devoir de réserve depuis plus d’une décennie. "Père la rigueur, un homme austère, de sang-froid et à la courtoisie sobre", selon le Figaro, ou "gardien du temps de l’orthodoxie budgétaire en France" pour Marianne, l’homme a vite fait d’être classé à droite de la gauche. Il court déjà la rumeur selon laquelle il aurait pris le poste pour s’ouvrir la porte du Conseil constitutionnel.

Anne-Laure Blouin

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