Non, Pap Ndiaye n’a pas été limogé suite aux pressions de l’extrême droite. Il est victime d’un phénomène classique : en cours de mandat, les ministres issus de la société civile sont sacrifiés pour faire de la place aux profils politiques.
Pap Ndiaye, la principale raison de son départ
C’est une rengaine qui tourne en boucle dans certains médias et dans la bouche de nombreux responsables politiques de gauche : Pap Ndiaye aurait été évincé de son poste de ministre de l’Éducation nationale suite à l’activisme de la droite et de l’extrême droite. En activant son siège éjectable, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne donneraient raison à tous ceux ciblant un serviteur de l’État jugé trop "à gauche", "woke" voire "noir".
Postures stériles
Oui, une partie de la classe politique s’est violemment et parfois injustement attaquée à l’universitaire novice en politique. Pour ces personnalités issues du RN, de LR ou de Reconquête, il s’agissait de dépeindre le gouvernement comme un exécutif de gauche, devenu adepte du communautarisme américain. La presse conservatrice s’en est donnée à cœur joie. Valeurs actuelles a ainsi qualifié Pap Ndiaye de "ministre de la déconstruction nationale". Le principal intéressé est revenu sur cette offensive dans un entretien accordé au Monde le 4 août : "Je suis identifié comme un homme de gauche, engagé sur les questions de l’antiracisme, de la lutte contre les discriminations. Et je suis un homme noir. Ce facteur, combiné aux deux autres, est insupportable pour l’extrême droite".
La gauche n’est pas plus subtile. En instrumentalisant le départ de Pap Ndiaye, en accusant la Macronie de céder aux pressions, elle utilise aussi une grosse ficelle rhétorique pour attaquer le gouvernement. Il s’agit de montrer que celui-ci est soumis à l’extrême droite qui lui dicte son agenda. Et que, par ricochet, le meilleur rempart contre le bord politique incarné par Marine Le Pen ou Éric Zemmour est la gauche elle-même.
Gauche et droite instrumentalisent Pap Ndiaye à des fins politiques
En somme, Pap Ndiaye est une source d’inspiration pour les états-majors cherchant à faire avancer leur agenda politique à grand renfort d’outrance et de buzz. Comme le disait Jacques Chirac, "plus c’est gros, mieux ça passe". Si l’ancien ministre était un symbole, son départ du gouvernement est avant tout lié à une considération tactique qui revient à chaque remaniement.
Société civile, ouverture…
Il suffit d’examiner la composition des gouvernements depuis deux décennies pour constater que certaines choses se répètent. En voici une : chaque président de la République (même si, selon la constitution, le premier ministre sélectionne son gouvernement), essaie de montrer sa modernité et son ouverture d’esprit. Il nomme dans son équipe des personnes venues de la société civile et pas forcément proches politiquement. En filigrane, l’objectif est de montrer que des "spécialistes" sont à même de gouverner. Quoi de plus logique que de nommer un diplomate aux Affaires étrangères, un enseignant à l’Education nationale, un médecin à la Santé, un DRH au Travail ?
Parfois, la greffe prend. Ce fut par exemple le cas avec Muriel Pénicaud, Agnès Buzyn ou Frédérique Vidal durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Toutefois, le plus souvent, cela ne marche pas.
Impossible de s’improviser ministre. Il est nécessaire de posséder des compétences technocratiques et politiques : remporter les arbitrages budgétaires, défendre son action et ses collègues dans la presse et à l’Assemblée nationale, être légitime et respecté de son administration… Pas une mince affaire ! Nombreux sont les ministres qui se cassent les dents. Ils sont, au mieux, jugés comme "invisibles" ou "n’imprimant pas". Au pire, ils sont perçus comme des boulets et sautent dès l’annonce du remaniement.
La moitié des ministres limogés sont issus de la société civile. Tous sont remplacés par des profils politiques
Et fermeture !
Lorsque l’équipe gouvernementale est remodelée, c’est que le navire tangue. Les cotes de popularité chutent, les bourdes s’accumulent, le discours ne passe plus. Dans ce cas, Président et premier ministre reviennent aux valeurs sûres. Ils se débarrassent des ministres issus de la société civile pour les remplacer par des "politiciens" de métier. Voilà la vraie raison du départ de Pap Ndiaye qui n’est pas un cas isolé. Il est débarqué et remplacé par Gabriel Attal au profil plus politique ?
Les ministres estampillés "société civile" ont presque tous connus le même sort. Sur les huit ministres limogés, la moitié sont vierges d’expérience politique. Outre Pap Ndiaye, l’urgentiste François Braun est renvoyée dans sa chère Lorraine et est remplacé par Aurélien Rousseau, énarque et ancien dircab de la première ministre. Aurore Bergé "politicienne" de profession rompue à la langue de bois et aux luttes d’appareil prend la place de Jean-Christophe Combe, ancien directeur de la Croix Rouge française aux Solidarités. La magistrate Isabelle Borne quitte son poste de ministre déléguée chargée de l’Egalité femmes-hommes malgré un bilan jugé positif. Elle paie son absence de poids politique et est remplacée par la députée Bérengère Couillard.
Pap Ndiaye, un ministre comme un autre
En somme, Pap Ndiaye n’est pas un "symbole" comme il l’affirme. Il a été un ministre comme un autre, logé à la même enseigne. Son départ est surtout lié à son manque d’habileté politique, ce qu’il reconnaît dans son entretien au Monde dans lequel il avoue ne pas avoir été assez "tacticien".
Il rejoint la longue liste d’experts qui se sont lancés dans le grand bain ministériel et n’ont su satisfaire les attentes placées en eux. Parmi les membres du club, se trouvent d’autres macronistes : Nicolas Hulot à la Transition écologique, l’escrimeuse Laura Flessel aux Sports, l’éditrice Françoise Nyssen à la culture.
Chantre de "l’ouverture", Nicolas Sarkozy avait lui aussi cherché à faire entrer du sang neuf dans son équipe avec la militante associative Fadela Amara à la Ville, le président d’Emmaüs Martin Hirsch bombardé Haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté et à la Jeunesse ou Bernard Kouchner aux Affaires étrangères.
Lucas Jakubowicz