Bérengère Bonte : "Plus politique que prévu, Élisabeth Borne a sauvé son poste"

Décideurs. Quelles sont les relations d’Élisabeth Borne avec Emmanuel Macron ?

Bérengère Bonte. Il l'a choisie car il avait du respect pour l'immense bosseuse, pour la résiliente au parcours familial douloureux, et parce qu'il voulait une femme... Sans doute aussi pensait-il qu'elle ne lui ferait pas d'ombre politiquement comme cela a été progressivement le cas avec Édouard Philippe. Néanmoins, je ne pense pas qu'il y ait humainement une complicité folle entre eux et j'observe qu'il a plusieurs fois pris ses distances avec elle publiquement. Ce qui a sans doute compliqué les choses, c'est qu'elle lui a fait changer de position sur plusieurs points notamment sur les retraites (les 64 ans, le report de la présentation de la réforme..). Mais il sait qu'il n'aura pas plus de majorité avec un autre premier ministre et qu'elle ne lâchera pas. 

Elle a la réputation d’être techno et de manager violemment ses collaborateurs. Pourtant, elle tient ses troupes…

Tout à fait. Elle a l’adhésion et le respect des parlementaires et des ministres qui font corps autour d’elle. Elle encaisse les motions de censure sans ciller, descend dans l’arène, assume les décisions difficiles et ne se dérobe pas. Au sein du gouvernement, aucun poids lourd ne vient la défier publiquement tant son parcours lui donne de la légitimité. Gérald Darmanin a bien essayé de lui savonner la planche mais cela s’est fait discrètement et s’est révélé vain. Des parlementaires sont assez critiques envers Emmanuel Macron. Ils estiment que certaines de ses décisions, notamment le fait de si peu s’engager dans la présidentielle et lors des législatives, sont la cause de la majorité relative. Mais ils n’en tiennent absolument pas rigueur à Élisabeth Borne.

"Elle a l'adhésion et le respect des parlementaires"

Le bornisme existe-t-il ? Si oui comment le définir ?

Il est encore trop tôt pour utiliser ce terme. Mais s'il faut essayer d'esquisser quelques traits, je dirais qu'il se caractérise par énormément de pragmatisme, une grande souplesse idéologique que ses opposants peuvent qualifier d’opportunisme. Dans tous les cas de figure c’est du ni droite ni gauche donc elle est dans la droite ligne d’Emmanuel Macron. Il est important de noter qu’elle ne parle jamais d’Histoire ni de littérature et qu’elle possède une faible culture politique, ce qui est assez déroutant. Autre point, même si elle n’a pas d’affect, ce qu’elle revendique, elle écoute vraiment les arguments de tous avant de décider.

Par rapport à beaucoup d’autres femmes politiques, elle joue peu la "carte femme", notamment pour faire face aux critiques. Pourquoi ?

À ses yeux, seuls les études et le travail forgent la légitimité. Elle ne tombe pas dans ce qu'elle considère être la facilité du féminisme de gauche qui consiste à expliquer des attaques ou des échecs par des questions de genre. En revanche, elle se bat pour que les jeunes filles étudient les sciences, accèdent aux hauts postes dans les entreprises. Ce qui ne l’empêche pas de se moquer des travers des hommes de pouvoir, mais seulement en privé. Ce fut le cas avec Anne-Marie Idrac ou Clotilde Valter dans le cabinet de Lionel Jospin ou au ministère de l’Équipement.

L’hôte de Matignon se targue de ne pas verser dans la peopolisation et de peu évoquer sa vie privée…

C’est assez ambivalent. Si elle se présente comme secrète, elle ne se prive pas de mettre en avant son fils et son rôle de parent d’élève sur Quotidien. De même, elle accorde une interview à Têtu pour réfuter les rumeurs sur son homosexualité tout en prétendant après coup que cette question n’était pas prévue. Elle s’est beaucoup livrée dans l’ouvrage, ce qui ne l’empêche pas de l’attaquer en justice alors que rien de vital ou de vraiment croustillant n’est divulgué.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz