Hélène Geoffroy, maire Vaulx-en-Velin, compte évincer Olivier Faure de la tête du PS lors du congrès de janvier 2023. Son credo ? Prendre de la distance avec LFI, remettre les siens au travail et faire revenir dans une maison commune l'ensemble du peuple de gauche, des électeurs verts aux macronistes. Rencontre avec une outsider qui pourrait créer la surprise.
Hélène Geoffroy : "Il est nécessaire d'avoir un PS fort, ce que ne permet pas la Nupes"
Décideurs. Votre contribution est très dure contre la direction actuelle qui a "théorisé la fin du parti", "conduit une stratégie d’effacement", et transformé le PS en "filiale de LFI". Une fois première secrétaire que faites-vous de la Nupes ?
Hélène Geoffroy : Notre participation à la Nupes sera suspendue. Sur la forme, elle s’est faite en catastrophe, sans consultation des adhérents. Par ailleurs, il s’agit d’une simple opération comptable qui ne fonctionne pas, le nombre de députés de gauche en est la preuve. Lorsque nous étions dans une situation de gouvernement de droite (notamment sous le second mandat de Jacques Chirac ou celui de Nicolas Sarkozy), le nombre de députés socialistes et de gauche était beaucoup plus important qu’il ne l’est actuellement. La raison en est très simple, les thématiques portées par la Nupes ne parviennent pas à rassembler. Cela a permis à l’extrême droite de se renforcer et pourrait la mener au pouvoir un jour...
Pour le moment, nous sommes absorbés par l’extrême gauche ce qui nous empêche d’être perçu comme un parti responsable. Or la vocation des socialistes, c’est de gouverner, pas de s’enfermer dans l’opposition tribunitienne qu’incarne LFI.
Les socialistes auraient donc été meilleurs que les autres candidats Nupes aux législatives ?
Au second tour des législatives, LFI a perdu la grande majorité de ses duels face au RN, ce qui ne fut pas le cas des candidats PS moins clivants. Pour combattre efficacement Marine Le Pen, il est nécessaire d’avoir un parti socialiste fort, ce que ne permet pas la Nupes qui est une alliance par désespoir.
"La vocation des socialistes, c'est de gouverner, pas de s'enfermer dans l'opposition tribunicienne qu'incarne LFI"
Quel serait le rôle du PS au sein de la gauche ?
Le PS n’a plus la prétention d’être hégémonique. Mais pour revenir au pouvoir, il a besoin de retrouver une certaine centralité car nous sommes un parti qui aspire avant tout à gouverner le pays non comme une fin en soi mais pour changer concrètement la vie des Français. La première urgence est très simple et tient en un mot : travailler. Je propose un agenda de la refondation et la mise en place, au plus vite, de conventions thématiques pour parler d’une voix forte et unie sur des sujets qui intéressent les classes moyennes et populaires : retraites, crise énergétique... Ces conventions seraient décloisonnées, donneraient la voix aux militants, aux sympathisants, aux simples citoyens. Ce type de réunion attire vraiment les gens, je le constate à Vaulx-en-Velin.
En somme, il s’agit de se concentrer sur une refondation du PS…
Oui, car nous n’avons plus de colonne vertébrale. Le quinquennat Hollande nous a fracturé sur des sujets comme le rapport au travail, le CICE, la déchéance de nationalité… Lors du congrès d’Aubervilliers de 2018, un "inventaire" a été fait, mais nous n’avons pas de corpus clair, à l’inverse d’EELV et LFI. Au-delà du simple programme, il y a une bataille culturelle à mener et à gagner. Nos thématiques doivent redevenir majoritaires et désirables dans la société. Aujourd’hui, les idées de gauche sont discréditées par de larges pans de la société dont nous pouvons pourtant améliorer le quotidien.
Il ne faut pas craindre de reparler de méritocratie, de travail, de prendre à bras le corps les questions de sécurité, notamment du trafic de drogue qui pourrit le quotidien dans de plus en plus de petites villes. Il est irresponsable de laisser la droite et l’extrême droite seuls sur ces sujets, d’autant plus que leurs solutions sont dangereuses et inefficaces.
Avez-vous des modèles en matière de socialisme ?
Je trouve remarquable le travail mené par les socialistes au Portugal et en Espagne où l’actuel Premier ministre Pedro Sanchez est parti à la rencontre des militants, des citoyens pour recueillir au plus près les préoccupations de tous. Ce qui a grandement contribué aux victoires électorales. En somme, il s’est intéressé aux gens alors que les socialistes français raisonnent en termes d’alliances contre nature.
"Le PS n'a plus de colonne vertébrale"
Vous vous montrez ferme sur les questions de sécurité, d’universalisme, de laïcité, de construction européenne. En s’alliant avec LFI, le PS peut-il perdre ces valeurs ?
Il est préoccupant de constater que le PS s’aligne avec un parti qui remet en cause l’universalisme au profit du différentialisme, qui souhaite s’affranchir des traités européens. Les militants socialistes sont pétris de leur histoire et assument les valeurs d’un parti centenaire qui a tant fait pour le pays. Pour autant, j’ai pu exprimer des inquiétudes voire des désaccords, en particulier au moment du vote des motions de censure proposées par LFI. Le danger commence lorsqu’on laisse les voix des députés du Rassemblement National se mêler aux nôtres. J’ai ressenti beaucoup d’incompréhensions de la part des militants à ce moment-là. Fort heureusement, ce sujet semble être derrière nous. Cet épisode est néanmoins révélateur de ce qu’est la Nupes aujourd’hui emmenée par un Jean-Luc Mélenchon pour qui tous les moyens sont bons.
"La gauche est en plein déclin chez les classes moyennes"
Aujourd’hui, à qui parlent les socialistes et plus particulièrement la gauche ?
Il suffit de regarder les résultats de la dernière présidentielle et des législatives. La gauche parle à une partie de la jeunesse et je m’en félicite. Elle est également forte dans le centre des métropoles, dans les banlieues même si la participation y est très faible. En revanche, elle est en plein déclin auprès des classes moyennes, des milieux populaires, des fonctionnaires, dans les zones rurales, les petites villes. Concrètement, cela fait un socle de 30% et pour arriver au pouvoir il faut la majorité. Or, je le réaffirme, il est impossible de l’atteindre avec le bruit et la fureur de la Nupes.
Pour obtenir cette majorité, vous appelez à la reconquête des classes populaires ainsi qu'à la réconciliation avec les "classes moyennes" et les "classes favorisées autrefois favorables au parti socialiste et désormais parties chez LREM"…
Oui. De François Mitterrand à François Hollande, le PS a toujours gagné en rassemblant, en utilisant la stratégie dite du front de classe qui consiste à regrouper l’ensemble de la société. En 2017 et dans une moindre mesure en 2022, le socle électoral d’Emmanuel Macron était composé d’électeurs qui, auparavant, votaient pour le parti socialiste. Je veux les associer, leur ouvrir la porte. Ces électeurs doutent et perçoivent une droitisation de la majorité. Il est indispensable de rassembler toutes les sensibilités de la gauche avec nous mais pour ce faire, il faut stopper cette stratégie d’anathème, de sectarisme et d’excommunication. L’objectif serait également de faire revenir un maximum d’électeurs passés chez EELV voire LFI.
Nous avons pu nous tromper, nous avons parfois déçu, mais les combats que nous menons sont plus grands que nous et consubstantiels de la nature humaine. Nous menons l’éternel combat pour la liberté et pour l’égalité. C’est ce qui m’anime aujourd’hui dans mon engagement au sein du parti socialiste.
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz