L’accord noué avec LFI crée plus de remous que prévu au parti socialiste qui subit une fronde venue en grande partie du Sud-Ouest. La vieille maison ne semble pas prête de s’écrouler mais elle vacille sur ses fondations.

Les amateurs de politique se souviennent sans doute des frondeurs socialistes sous le mandat de François Hollande. Leur credo ? Combattre une dérive supposée droitière menée dans la seconde partie du quinquennat. Quelques années plus tard, une nouvelle fronde mine un parti à la rose plus affaibli que jamais. Cette fois-ci, c’est la ligne trop à gauche matérialisée par l’alliance avec La France insoumise qui est à la source de la contestation.

Les racines de la colère

Tout commence le 5 mai au soir. À Ivry-sur-Seine, siège du parti, le conseil national du PS valide à 62% l’accord électoral donnant naissance à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Une union qui, pour plusieurs raisons, ne fait pas que des heureux en interne. Moralement, l’accord perturbe les universalistes, pro-UE et sociaux-démocrates qui dénoncent pêle-mêle une alliance avec des communautaristes, des positions floues sur la laïcité ou sur la désobéissance aux traités communautaires. Sur le plan électoral, l’accord est jugé mal négocié puisque l’ancienne force motrice de la gauche n’est dotée que de 70 circonscriptions contre 100 pour EELV ou 50 pour le PCF.

Très rapidement, les mécontents montent au créneau. Certains prennent une mesure radicale : ils quittent le parti, c’est notamment le cas de Bernard Cazeneuve. L’ancien premier ministre s’en explique dans un long post Facebook où il déplore l’accord avec LFI "dont j’ai eu à subir la violence, l’outrance des positions, les insultes  (…). J’ai aussi une conception nette et ferme de la laïcité, de la République qui interdit toute convergence avec ceux dont la pensée sur ces questions est plus qu’ambiguë". Tout naturellement, l’opposition "officielle" à la ligne d’Olivier Faure fait aussi entendre desa voix par l’intermédiaire du Marseillais Patrick Mennucci ou de la maire PS de Vaulx-en-Velin Hélène Geoffroy qui dénonce un accord "qui demande de nous excuser, de faire repentance, de nier une partie de notre histoire".

Des candidatures frondeuses

Une histoire traditionnellement liée au sud-ouest de l’Hexagone, terre de Jean Jaurès, de Léon Blum, l’un des cœurs battants du socialisme tricolore. Cette partie du pays est pourtant sacrifiée sur l’autel de l’union de la gauche. Ainsi, en Occitanie seules 6 circonscriptions sur 49 sont réservées au PS, l’Hérault n’en ayant aucune. Inacceptable pour les responsables régionaux et locaux. Carole Delga, la très médiatique présidente de la région Occitanie, par ailleurs vent debout contre l’accord, fait office de "résistante en chef". Avec énergie, elle fustige son parti qui "sombre dans la soumission, le tripatouillage", promet des lendemains qui chantent, soutient personnellement tous les candidats socialistes hors Nupes qu’elle refuse d’appeler dissidents. Sur le terrain, elle est soutenue par le maire de Montpellier Michael Delafosse, par Kléber Mesquida, président du conseil départemental de l’Hérault ou par Germinal Peiro, son homologue de Dordogne.

Le PS compte presque autant de candidatures officielles que de candidatures dissidentes

Mais les élus du sud-ouest ne sont pas les seuls à présenter des candidatures hors Nupes. Dans plusieurs circonscriptions de la Loire ou en Bretagne des candidats "socialistes pur sucre" défient les instances nationales. Parmi eux, Vincent Le Meaux, patron du parti à la rose dans les Côtes d’Armor ou Réza Salami à Brest. Ils peuvent compter sur le soutien de Loig Chesnais-Girard, le président de région réélu sur la bannière PS.

Dans la Sarthe, Stéphane Le Foll, maire du Mans, proche de François Hollande et ancien ministre de l’Agriculture est à la manœuvre. Dans son département, cet opposant à l’accord soutient cinq candidatures jugées dissidentes par l’appareil PS. Appareil au sein duquel certains « apparatchiks » prennent ouvertement fait et cause pour les contestataires. C’est notamment le cas du porte-parole du parti, le sénateur de l’Oise Rachid Temal qui encourage clairement les dissidents :  "Il va falloir que Jean-Luc Mélenchon accepte l’insoumission. Soyez candidats si vous le souhaitez, c’est ça l’insoumission". Pour le moment, difficile de prédire le succès de ces candidatures qui dépassent la soixantaine. Une seule certitude, elles cassent la petite musique d’une gauche plurielle et unie. Une belle épine dans le pied du PS qui se retrouve face à deux scénarios peu joyeux.

Si Olivier Faure décide d'exclure les dissidents, il affaiblit son parti. S'il ferme les yeux, il s'affaiblit lui-même

Le dilemme d’Olivier Faure

Le premier consisterait à exclure les frondeurs comme l’autorisent les statuts. Problème : eux et leurs soutiens sont très ancrés sur le terrain et, dans certains départements, ils représentent une forte proportion d’élus locaux et de militants. Olivier Faure ne peut donc que difficilement se séparer de forces vives dont le parti manque cruellement. Sans compter les remous internes. Si près de 4 cadres sur 10 sont opposés à l’accord, la plupart respectent le fait majoritaire. Mais ils vivraient probablement très mal la mise au ban de camarades qui, malgré leur choix, restent attachés au socialisme. Olivier Faure est donc mis en difficulté et ne peut prendre que deux mauvaises décisions. Pour le moment, il tente de ménager la chèvre et le chou en donnant des gages aux mécontents. Il soutient notamment la socialiste Lamia El Aaraje, députée de Paris dont l’élection avait été invalidée par le Conseil constitutionnel. Jean-Luc Mélenchon a imposé dans la circonscription une insoumise historique, Danielle Simonnet ce qui irrite le PS. Le député de Seine-et-Marne a pourtant une raison de sourire : pour le moment les frondeurs semblent peu disposés à migrer vers la macronie.

L’appel du pied de la macronie ?

Pourtant, cette dernière a mis les petits plats dans les grands pour accueillir d’éventuels transfuges. L’aile gauche de la majorité, Territoires de Progrès, dirigée par le ministre du Travail Olivier Dussopt, ancien député PS, essaie de "débaucher les mécontents". Ceux qui veulent franchir le Rubicon peuvent également passer par un autre « sas de décompression », la Fédération des progressistes. Le micro-parti regroupe d’anciens ministres de François Hollande tels que François Rebsamen, Marisol Touraine ou encore Juliette Méadel. Toutefois, le gouvernement Borne le prouve : la majorité ne parvient plus à accueillir de transfuges venus du PS.

Le Foll, Delga, Mennucci, Delafosse le clament : socialistes de cœur, ils ne souhaitent pas quitter la "vieille maison" qu’ils aimeraient bien refondre du toit au grenier. Mais ils pourraient également tenter d’en rebâtir une ailleurs en cas d’exclusion. Le dénouement final aura probablement lieu après les législatives ou lors de la prochaine rentrée politique. Carole Delga devrait organiser des "États généraux de la gauche républicaine, européenne et écologiste, ouverts à des militants, des sympathisants, à la société civile, à tous ceux qui, à gauche, veulent un projet de société qui ne soit ne celui d’Emmanuel Macron, ni celui de Jean-Luc Mélenchon".

Lucas Jakubowicz

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