Il existe bel et bien un vote catholique, juif, musulman ou athée. Les premiers sondages post-premier tour et l’analyse de certains bureaux de vote montrent cela clairement. Décryptage d’une situation qui peut déranger…

Les catholiques convertis au macronisme

Traditionnellement, les catholiques de France sont réputés apporter leur voix aux candidats de la droite républicaine classique. Ainsi, en 2017, François Fillon avait obtenu des scores bien au-dessus de sa moyenne nationale (20,01 %) dans cette catégorie d’électeurs. En effet, 28 % des catholiques avaient déposé un bulletin LR dans l’urne, la proportion étant même de 55 % chez les pratiquants réguliers. Autre habitude électorale des catholiques de l’Hexagone, le rejet de l’extrême droite. Il y a cinq ans, les pratiquants réguliers n’étaient que 15 % à soutenir Marine Le Pen. Cela n’a rien d’un hasard pour le sociologue Claude Dargent, spécialiste du vote religieux : "L’électorat catholique, hormis une frange traditionnaliste, accorde une grande importance à la construction européenne, à l’aide aux plus démunis tels que les migrants."

La rupture a eu lieu à partir des élections européennes de 2019. La République en marche a commencé à attirer l’électorat catholique et à dépasser LR : 37 % pour la liste LREM menée par Nathalie Loiseau contre 22 % pour LR dont la tête de liste était pourtant le catholique versaillais François-Xavier Bellamy. Une évolution logique selon Claude Dargent : "Emmanuel Macron s’est positionné sur un créneau orléaniste qui parle à la majorité des pratiquants. Il a également envoyé des signaux forts : combat contre les extrémistes, compassion et volontarisme lors de l’incendie de Notre-Dame, attachement fort à la construction européenne."

Selon une étude Ifop menée pour le quotidien La Croix, lors du premier tour de la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron a viré en tête dans l’électorat catholique : 29 %. Dans les zones géographiques où le catholicisme est encore prégnant, le président de la République obtient des scores plus élevés que sa moyenne nationale : 35 % en Vendée ou 33 % à Versailles.

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Chez les pratiquants réguliers, Eric Zemmour atteint 16% des voix.

Les catholiques regardent de plus en plus vers l’extrême droite

Notons cependant que le vote Marine Le Pen est en très forte croissance dans ce segment. Toujours selon l’Ifop, chez les catholiques pratiquants, elle augmente son score de 10 points passant de 15 % à 25 % en cinq ans. Désormais, les populistes d’extrême droite ne sont plus sous-représentés chez les pratiquants.

À l’extrême droite, le score d’Éric Zemmour était une incertitude, son idéologie étant à l’opposé de celle du clergé. Mais son équipe de campagne comprend de nombreuses figures du catholicisme politique : Philippe de Villiers, Christine Boutin, Jean-Frédéric Poisson, des cadres de Sens commun... Verdict, chez les Français se définissant comme catholiques, il recueille 11 %, soit 4 points de plus que sa moyenne nationale. Plus frappant, il obtient un score élevé chez les pratiquants réguliers : 16 %. En somme, il semble avoir touché une large frange de la bourgeoisie catholique conservatrice, en témoignent ses performances dans les communes où ce profil sociologique est implanté : 18,5 % à Versailles, 18,75 % à Neuilly-sur-Seine, 17,5 % dans le seizième arrondissement de Paris…

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Musulmans : passion Mélenchon

Depuis quelques années, LFI se positionne comme le parti défenseur de la communauté musulmane de France. Une ligne qui donne lieu à de nombreuses critiques : essentialisation des musulmans, rupture avec l’universalisme républicain, clientélisme, islamo-gauchisme, communautarisme… Mais, dans les urnes, cela a rapporté gros.

C’est très simple, au sein de l’électorat musulman, il y a Jean-Luc Mélenchon… et les autres. Dans cette communauté, le tribun domine de la tête et des épaules : 69 % des musulmans de France ont voté pour lui d’après l’Ifop. En seconde place, loin derrière, Emmanuel Macron recueille 14 % tandis que Marine Le Pen complète le podium avec 7 %. Les autres candidats sont sous la barre des 2 %. Un "vote religieux" qui interpelle, surtout lorsque le bénéficiaire est un dirigeant politique autrefois connu pour son hostilité aux religions et au communautarisme.

Certains chiffres sont stupéfiants. En Seine-Saint-Denis, le candidat rafle 49 % des voix avec, notamment, 60 % à Aubervilliers ou à La Courneuve. Inversement, dans la commune plus chic du Raincy, il est à 21 %. À Nanterre, le candidat de gauche dépasse le seuil de 60 % dans les bureaux de vote situés dans la cité Pablo Picasso. Mais dans le bureau de vote de l’école Romain Rolland situé dans la partie la plus aisée de la commune, au pied du Mont Valérien, c’est Emmanuel Macron qui est en tête (43 %) loin devant LFI (19%).

Continuons notre tour de France avec Roubaix. Le député LFI atteint 52 %. Dans un bureau de vote du nord de la ville (salle polyvalente Carrette) il monte à 72,6 %. En revanche, dans le bureau de l’école Anatole France situé dans un quartier huppé à proximité du parc Barbieux, c’est Emmanuel Macron qui mène la danse (48,83 %) contre 15 % pour l’Insoumis.

Le cas de Marseille est également révélateur. Dans la partie la plus aisée de la ville, le huitième arrondissement, il est troisième avec 17 %. Mais dans le bureau de vote qui comporte la cité Félix-Pyat il est à 79 %. De même dans le quartier de Font-Vert, il est à 84 % !

Le cas de Montereau-Fault-Yonne interpelle également. La ville de Seine-et-Marne où l’Insoumis obtient 46 % est scindée en deux. Le haut de la ville, Surville, est un quartier classé REP à forte proportion musulmane. Et le score de Jean-Luc Mélenchon tutoie les 70 %. Évidemment, le triple candidat n’est pas que le "représentant des musulmans". Dans L’Express le journaliste Jean-Laurent Cassely, notamment co-auteur de La France sous nos yeux, décrit l’électorat mélenchoniste comme une "coalition de classes entre jeunesse urbaine engagée, bourgeoisie culturelle et habitats des banlieues à faibles revenus issus des minorités". Il n’en demeure pas moins que, même en l’absence de statistiques ethniques, l’étude de certains bureaux de vote est troublante. Même le député LFI François Ruffin reconnaît à demi-mot la situation.

Juifs : le mystère Zemmour

L’étude menée par l’Ifop ne mesure pas le vote des juifs de France, probablement à cause d’échantillon trop faible pour être significatif. Cependant, il existe une méthode pour cerner une partie de ce vote. En 2016, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach ont publié L’an prochain à Jérusalem ? un ouvrage sur le comportement électoral des Juifs de l’Hexagone. Les deux auteurs ont identifié quelques bureaux de vote qui accueillent une population juive notable. Ils sont souvent situés dans des quartiers où la vie communautaire est organisée (on y trouve notamment une forte implantation de lieux de culte, commerces ou écoles confessionnelles).

Dans les bureaux de vote situés dans la "Petite Jérusalem" de Sarcelles, Eric Zemmour obtient plus de 35% !

Très clairement, un survote Zemmour s’y observe. Prenons en exemple la ville de Sarcelles où le candidat de Reconquête ! obtient 11,5 % loin derrière Jean-Luc Mélenchon (48 %). La commune du Val d’Oise comporte une forte population juive concentrée dans un quartier connu sous le nom de "Petite Jérusalem". Le "cœur" de la communauté vote dans les bureaux 21,22 et 24. Éric Zemmour y réalise parmi ses meilleurs scores nationaux : 35,23 %, 39,52 % et 37,10 %. En revanche, dans les barres HLM de la commune, il est à 3 %. Le vote juif s’est donc reporté sur Éric Zemmour.

La tendance est la même dans le bureau de vote n°7 du vingtième arrondissement de Paris. Au pied des Buttes-Chaumont, il accueille une forte communauté juive. Le candidat d’extrême droite est à 10,8 %. Sur l’ensemble de l’arrondissement, il n’est qu’à 5 %.

Continuons notre tour d’horizon avec un troisième exemple : la ville de Saint-Mandé qui concentre une population juive importante. Selon Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach, beaucoup de membres de la communauté (qui a été en première ligne lors de l’attentat de l’Hyper Cacher de 2015) sont originaires d’autres communes populaires du Val-de-Marne (Créteil, Champigny). Ils se sont repliés dans cette petite ville cossue pour fuir l’antisémitisme suivant un phénomène "d'alya intérieure". À Saint-Mandé, Éric Zemmour est à 16,35 % ! Du côté des Français d’Israël, le polémiste obtient 53 % des voix, même si le taux de participation n’est que de 10 %.

Notons que les bureaux mentionnés sont au centre de communautés très soudées, plus pratiquantes et moins aisées que la majorité de la population juive de l’Hexagone. Si elles ne constituent pas un échantillon représentatif, on constate tout de même une percée Zemmour.

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Sans religion : prime à la gauche

Dans la vie politique française, la gauche a traditionnellement défendu l’athéisme tandis que la droite est plus proche du clergé. En 2022, le schéma traditionnel se reproduit puisqu’on observe un survote des électeurs sans religion pour la gauche. Jean-Luc Mélenchon mène la danse avec 30 %, soit huit points de plus que sa moyenne globale. De même, Yannick Jadot est à 6 % contre 4,6 % au national, Fabien Roussel décroche 3 % contre 2,3 % au total… Si les différentes listes de gauche sont à 32 % des voix au premier tour de la présidentielle, elles sont à 44 % chez les électeurs se définissant comme sans religion.

La gauche est à 32% au global. Mais à 44% chez les Français sans religion

Inversement, la droite sous-performe dans ce segment électoral : Marine Le Pen est à 20 % (-3,3 points), Éric Zemmour est à 4 % (-3 points), Valérie Pécresse à 2 % (-2,8 points). Le clivage droite gauche et donc toujours un clivage religieux malgré une société française de plus en plus sécularisée.

Lucas Jakubowicz

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