Le président russe misait sur une UE tétanisée, pacifiste et divisée face à l’invasion de l’Ukraine. Le pari semble perdu.

Sur le plan économique, ces deux dernières années, marquées par la pandémie de Covid-19, ont permis à l’UE de faire étalage de sa force de frappe : financement d’un plan de relance de 750 milliards d’euros, mutualisation de la dette, commande groupée de vaccins. Le tout rapidement et sans grosse opposition interne. La nouvelle Commission européenne s’est également dotée d’un poste de "super commissaire" regroupant sous l’autorité du Français Thierry Breton le marché intérieur, l’industrie, la tech et l’espace. Après des années de relative léthargie, l’Europe repart à l’offensive et assume désormais d’affirmer une souveraineté technologique et économique face à la Chine et aux États-Unis.

Restait un angle mort : l’absence de défense et de diplomatie commune. Difficile d’accorder les violons de vingt-sept États soucieux de leur indépendance et obéissant à des stratégies différentes. Dépendants du gaz russe, des nations comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Autriche jouaient la carte de l’apaisement face à Moscou. Certains dirigeants de pays conservateurs d’Europe de l’Est tels le Hongrois Viktor Orbàn regardaient avec une certaine admiration les positions traditionnalistes de Vladimir Poutine perçu comme un rempart face à une UE cosmopolite et libérale. Globalement, la majorité des pays de l’Union continuaient à miser sur l’Otan et sur la rationalité du maître du Kremlin qui n’aurait aucun intérêt économique et géopolitique à faire tonner le canon aux portes de l’Union.

Union sacrée

Mais le 24 février, tout change. L’invasion de l’Ukraine par la Russie amène la guerre aux portes de l’Union et fait peser une menace inédite sur le Vieux-Continent. Pour la première fois, l’UE a un ennemi commun qui frappe à sa porte, soit le meilleur ciment pour accélérer le renforcement de son hard power.

Vladimir Poutine espérait une UE faible et divisée ? Pari perdu. Elle montre ses muscles et fait front commun

Et le revirement communautaire n’a pas traîné. L’Allemagne a tiré des conclusions de ses errances stratégiques et a annoncé un investissement immédiat de 100 milliards d’euros pour remettre à niveau une Bundeswehr sous-dotée. Le chancelier Olaf Scholz a même déclaré que la constitution d’un appareil militaro-industriel commun était une priorité stratégique. Autre rupture, pour la première fois de son histoire, la première puissance économique de l’UE va envoyer des armes à un pays européen, l’Ukraine. Les pays du Vieux-Continent les plus "pro-Poutine" voient à présent l’armée russe se rapprocher de ses frontières. Conséquence, la Hongrie ou la Slovaquie s’arriment à Bruxelles qui n’a pas tardé à prendre des mesures militaires, pour la première fois de son Histoire.

L’UE sort ses armes

Vladimir Poutine espérait une Europe faible et divisée ? En quelques jours, elle a montré ses muscles et fait front commun. Le 27 février, la présidente de la commission, Ursula von der Leyen, a annoncé que "pour la première fois, l’UE va financer l’achat et la livraison d’armements et d’autres équipements à un pays en guerre. C’est un tournant historique". Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a précisé que l’UE fournirait à l’armée ukrainienne des "armes létales, du carburant, des équipements, des fournitures médicales". Pour le moment, 450 millions sont mis sur la table, mais les sommes dépensées pourraient être plus élevées.

Les institutions communautaires devraient recourir à un outil existant mais jamais utilisé la Facilité européenne de paix. Concrètement, il s’agit d’un instrument financier hors budget commun et crédité de 5 milliards d’euros. Il permettrait, selon Josep Borrell, de "rembourser les membres qui ont prélevé sur leurs stocks d’armements nationaux (…). Cela met fin au tabou voulant que l’Union ne fournisse pas d’armes à des belligérants (…). Nous vivons des événements sans précédent et nous sommes au pied du mur". Le message est simple : Européens, envoyez un maximum d’armes à l’Est, nous vous rembourserons.

L'UE prend en charge sa défense et semble vouloir s'affranchir du bouclier américain

En situation de conflit, le contrôle de l’information et la lutte contre la propagande et les fake news sont également stratégiques. En la matière, l’UE a mis de côté une certaine naïveté et est passée à l’offensive puisqu’Ursula von der Leyen a également affirmé que l’UE va interdire sur son sol "la machine médiatique du Kremlin. Les médias d’État comme Russia Today et Sputnik, ainsi que leurs filiales, ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et pour semer la division dans notre Union. Nous développons donc des outils pour interdire leur désinformation toxique et nuisible".

Avec ce train d’initiatives, un nouveau paradigme s’impose pour l’Occident comme pour la Russie. Désormais, le Vieux-continent semble s’affranchir du parapluie américain et prendre en charge sa défense. Aux yeux de Vladimir Poutine, l’UE s’affiche désormais comme un adversaire coriace et, à moyen terme, probablement de plus en plus autonome vis-à-vis du grand frère américain. Une épine de plus dans le pied de Moscou qui ne s’attendait pas à cela il y a une semaine.

Lucas Jakubowicz

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