L’UE utilise la diplomatie pour faire avancer ses intérêts. Mais, pour le moment, cela passe par Paris et Berlin plutôt que par les institutions communautaires. La crise russo-ukrainienne en est une nouvelle preuve.

Humiliation. En ce début février 2021, la presse internationale et les chancelleries n’ont qu’un seul mot à la bouche pour qualifier le désastreux déplacement à Moscou de Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. L’Espagnol s’était rendu dans la capitale russe pour évoquer le sort de l’opposant Alexeï Navalny, l’Arctique ou encore le climat. Il aura vécu un calvaire : snobé par Vladimir Poutine, tancé devant la presse par Sergeï Lavrov, chef de la diplomatie russe, qui qualifiera notamment l’UE de "partenaire non fiable"… Pour couronner le tout, la Russie expulsera trois diplomates représentant l’UE. Motif ? Ils ont participé à une manifestation de soutien à Alexeï Navalny.

L’obstacle de l’unanimité

Pourtant, en 2009, l’UE voyait les choses en grand en matière d’influence internationale. Le traité de Lisbonne avait officialisé la création du poste de haut-commissaire fusionnant les fonctions de secrétaire général du Conseil, de commissaire européen aux relations extérieures et de haut représentant pour la politique étrangère et la sécurité commune. Objectif, unifier et clarifier la voix de l’UE. Mais l’article 24 du traité est un frein à toute ambition puisqu’il écrit noir sur blanc que "la politique étrangère et de sécurité commune est définie et mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil qui statuent à l’unanimité, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement". En somme, l’unanimité est la règle.

Depuis 2009, l'UE s'est dotée d'un super diplomate sans marge de manœuvre

Cela constitue un obstacle majeur puisque les membres de l’UE sont avant tout des États souverains aux intérêts divergents. La France défend une forte présence en Afrique ? Le continent est secondaire pour beaucoup de partenaires. La Pologne et les pays Baltes considèrent la Russie comme une menace et demandent à l’UE d’agir de manière forte ? L’Allemagne dépend du gaz russe et privilégie la méthode douce.

La France et l’Allemagne, ministère des Affaires étrangères officieux 

Face à cette faiblesse structurelle générée par le traité de Lisbonne, l’UE n’a guère le choix. Pour défendre sa vision, il faut passer par les États, notamment le couple franco-allemand. Mais dans les faits, les deux pays ne sont pas forcément sur la même longueur d’onde. "L’Allemagne est une puissance économique mais mène une diplomatie marquée par la retenue et l’inclusion. Virage qui devrait s’accélérer avec la nouvelle ministre des Affaires étrangères, la Verte Annalena Baerbock qui compte mettre l’accent sur le climat et les droits de l’homme", affirme Delphine Deschaux-Dutard, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Grenoble et membre du Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE). Elle note que "la France, à l’inverse, est plus offensive, quitte à donner le sentiment de boxer au-dessus de sa catégorie. Elle profite notamment des moments où elle préside l’UE pour parler fermement au nom des Vingt-Sept. Ce fut le cas lors de la crise géorgienne de 2008 ou de la visite d’Emmanuel Macron à Moscou en février 2022." C'est d'ailleurs le président de la République qui représente officieusement les Vingt-Sept lorsqu'il s'adresse à Vladimir Poutine par téléphone.

Sur un autre terrain d'opération, l'Afrique subsaharienne, la France représente par la force des choses Bruxelles, mais sans beaucoup de soutien. Durant la crise diplomatique avec le Mali, l’UE est ainsi restée bien muette. De même, durant la crise gréco-turque de l’été 2020, l’Allemagne a cherché la conciliation avec Ankara tandis que la France a déployé sa marine en Méditerranée orientale et vendu des armes à la Grèce. Il arrive toutefois que les deux nations naviguent de conserve. C’est ainsi que François Hollande et Angela Merkel ont représenté, officieusement, l’UE lors de l’accord Minsk II en 2015. Malgré l’axe Paris-Berlin, la diplomatie européenne, engoncée dans la règle de l’unanimité, reste faible. Et la seule solution, évoquée par Delphine Deschaux-Dutard, est pour le moment utopique : "Avoir un gouvernement européen et une armée européenne. Car sans "bâton", difficile d’être efficace".

Lucas Jakubowicz

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