Clivante et frondeuse, idéologue et pragmatique, Christiane Taubira possède une personnalité forte, qui divise autant qu’elle réunit, et ne lève pas toujours le voile du mystère qui l’entoure. Entre coups d’éclats et mots éclatants, retour sur un parcours détonnant et en devenir.

Lorsque le 27 janvier 2016, Christiane Taubira démissionne, c’est une déferlante de plusieurs dizaines de milliers de réactions, de "likes" et de partages qui agitent les réseaux sociaux. Opposée à la mesure de déchéance de nationalité présente dans le projet de révision constitutionnelle du gouvernement de Manuel Valls, la Garde des Sceaux vient de présenter sa démission et justifie sa décision sur Twitter par ses mots : "Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit". Un coup de poing éthique et rhétorique, un knock-out politique dont François Hollande ne se relèvera pas. Elle est déjà forte de l’avancée sociétale du mariage pour tous : grâce à cette démission, elle incarne alors toute la gauche morale.

Tout Christiane Taubira est là : une posture, une droiture, une pose aussi, mais auxquelles elle ajoute une volonté de réunir dans une même praxis politique, la parole et les actes. Dès lors, on comprend mieux le choix des premiers mots adressés au public saluant sa première place de la Primaire populaire, dimanche 30 janvier. Succédant aux applaudissements, son "merci pour votre ferveur" résonne au mieux avec l’ardeur mêlée de spiritualisme laïque qu’elle entend à la fois susciter et recevoir.

"La poésie m’a rendue invincible"

C’est d’ailleurs une caractéristique majeure de sa personnalité : un puissant ego, celui-là même qu’on ne reproche pas aux hommes publics. Aussi dans l’adversité n’hésite-t-elle jamais à sortir "le grand Je", avec une théâtralité sans pareille, avant de convoquer, comme souvent, les référents littéraires qui l’accompagnent : Aimé Césaire, Toni Morrison ou René Char. "La poésie m’a rendue invincible" affirme-t-elle, téméraire.

Sa victoire à la Primaire populaire va-t-elle donner la deuxième accélération de son entrée en campagne. Anne Hidalgo est consciente d’être encore plus fragilisée par l’émergence de Christiane Taubira. Sœur Anne n’a rien vu venir mais comment le lui reprocher ? Christiane Taubira, depuis ses débuts en politique, a toujours dérouté ses acolytes par sa doctrine aussi bien idéologique que pragmatique.

Qui est vraiment la possible incarnation de la remontada d’une gauche orpheline ? Celle qui entre en campagne tardivement mais avec succès, a derrière elle une vie politique riche de malentendus. Il y a bientôt 30 ans, elle entre en politique après avoir infligé une "humiliante défaite" au parti socialiste de Guyane aux législatives de 1993. Ce n’est pas la dernière fois que le PS, vexé, l’accusera d’avoir sabordé son camp. À tort ?

Anne Hidalgo a conscience d'être encore plus fragilisée par l"émergence de Christiane Taubira

Une victime expiatoire

Son premier vote à l’Assemblée ? Celui dit de "la confiance" accordée au Premier ministre de cohabitation Édouard Balladur qui venait d’exposer sa déclaration de politique générale : "Rien dans ce discours ne constituait un élément rédhibitoire à mon vote", assume-t-elle dans son autobiographie Mes météores (Flammarion 2012). S’ensuit sa présence sur la liste PRG de Bernard Tapie aux Européennes de 1994, avec un succès de cette dernière tel qu’il mit fin à la carrière de "Rocky" Rocard, et vit le PS passer instantanément du "Big Bang" au "Big Crash".

Mais c’est bien évidemment sa candidature à la présidentielle de 2002 sous l’étiquette PRG et ses 2,32 % qui l’affubleront de l’étiquette pratique de "traîtresse". Quid des candidatures Chevènement, Laguiller ou Besancenot ayant, chacun dans son couloir de nage, largement participé à l’émiettement de la gauche dite "plurielle" ? Quid de la médiocrité de la campagne de Lionel Jospin ? Vouée aux gémonies, Christiane Taubira est alors la victime expiatoire parfaite.

Un antidote à la démoralisation des Français ?

Vingt ans après, ses contempteurs, de droite comme de gauche, ressortent des éléments de son programme présidentiel de 2002. Le journal Libération s’y est également penché et relate : "Elle prônait, en matière de fiscalité, la suppression de l’impôt sur le revenu, de la CSG, la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et des cotisations sociales, et leur remplacement par un impôt progressif pour tous, mais modéré, "y compris le taux marginal supérieur", afin de ne pas "décourager l’effort et l’initiative" (…) Pour relancer l’emploi, elle propose "un allègement de la charge fiscale et sociale globale pesant sur le facteur de production travail" (…) et concernant le financement des retraites, Taubira considère que "l’opposition entre le tout-répartition et le tout-assurance est excessivement dogmatique". Et défend la capitalisation au-delà d’un certain niveau de pensions".

Christiane Taubira s'appuie sur des propositions telles qu'un revenu étudiant de 800 euros par mois, l'augmentation du Smic à 1 400 euros net ou l'embauche de 100 000 soignants

Ces propositions disruptives de l’époque contrastent avec les premiers éléments de programme fournis par la candidate : mise en place d’un "revenu étudiant" de 800 euros par mois durant 5 ans, augmentation du Smic à1 400 euros net, embauche de 100 000 soignants… Un "quoi qu’il en coûte" électoral classique et imité par la quasi-totalité des candidats déclarés. Où situer dès lors la colonne vertébrale idéologique de Christiane Taubira ? Le procès en opportunisme (en pragmatisme ?) n’est pas loin.

"Mon fonctionnement est tellement simple que je ne comprends pas qu'il faille l'expliquer", s’agaçait-elle déjà dans son autobiographie. Ses défenseurs montent également au créneau : "Elle aime le consensus et ne veut pas être dans la rupture", assure un élu proche de l’ancienne ministre à l’AFP. "Elle est l’antidote à la démoralisation des Français" renchérit son conseiller, le socialiste Christian Paul.

Entre lyrisme et pragmatisme

Pour se faire, l’ancienne Garde des Sceaux revendique depuis longtemps un mantra, "si on épouse une cause, on doit constamment interroger cette cause, constamment interroger sa pratique" (France Culture 2016), doublé d’une proposition phare : "Introduire des conventions citoyennes dans tous les débats publics."

Y-a-t-il une "méthode Taubira" ? Il y a une loi en tout cas. Sa recherche active du consensus avait été louée par l’ensemble de la classe politique qui avait adopté à l’unanimité, à l’Assemblée comme au Sénat, en 2001, sa proposition de loi reconnaissant la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité.

Si l’unanimisme lui fait désormais défaut, le fait d’armes qui l’inscrivit, bien au-delà de la gauche morale, demeure la bataille qu’elle a mené pour faire adopter le "mariage pour tous", où dès l’ouverture des débats, elle sut conjuguer, en s’adressant aux opposants, le lyrisme et le pragmatisme qui l’anime : "Vos objections n'ont pas de fondement sauf une réelle difficulté à inclure dans vos représentations la légitimité des couples de même sexe. Mais vos enfants et vos petits-enfants les incluent déjà et vous serez bien mal à l'aise lorsqu'ils viendront voir les comptes rendus de vos débats."

La Garde des Sceaux nous montrait qu’elle savait déjà le jugement de l’histoire implacable. La candidate à l’élection présidentielle, elle, doit désormais s’évertuer, après des débuts tardifs mais puissants, à faire rayonner, sinon triompher, la gauche humaniste dont elle défend avec talent et persévérance les valeurs. Quitte à être la fossoyeuse du PS ? Telle est la dure morale de l’histoire…

Sébastien Petitot

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