Qui est vraiment l’ancien premier ministre ? Un Iznogood qui veut être calife à la place du calife ou un homme fidèle au président ? Le journaliste Tugdual Denis tâche de débusquer la vérité.

Retranché dans sa mairie du Havre, l’ancien premier ministre suscite bien des fantasmes. Certains le voient en vieux sage, d’autres en rassembleur de la droite et du centre, en successeur d’Emmanuel Macron voire en opposant. Le principal intéressé nourrit le mystère en oscillant entre soutien à la majorité et "cartes postales" laissant penser qu’il songe à la présidentielle pas seulement lorsqu’il se taille la barbe. Le journaliste Tugdual Denis, rédacteur en chef adjoint de Valeurs actuelles, a tâché d’en savoir plus…

Semer les graines

Première cible de son investigation : Édouard Philippe lui-même, rencontré à plusieurs reprises dans sa ville. Derrière un aspect accessible, bonhomme, naturel et, avouons-le, sympathique, la figure centrale de ces 250 pages agit en politique rusé. Notamment lorsqu’il dévoile des pans de sa personnalité qui renforcent son rôle de présidentiable.

Symboliquement, Édouard Philippe profite de ces séries d’entretiens pour se tailler une image de chef d’État. Les Français accordent de plus en plus d’importance à la vie privée ? Il évoque son amour pour sa famille et sa volonté d’être présent auprès d’elle malgré un emploi du temps chargé. Un président se doit d’être un minimum lettré ? Le voilà qui disserte sur l’art et la littérature avec une passion loin d’être feinte. L’ancrage local semble indispensable ? Il clame son attachement au Havre et aux terroirs de l’Hexagone.

Sur le plan idéologique, on redécouvre un Édouard Philippe qui se réclame de droite, apôtre de l’ordre juste, attaché à l’armée et à une "certaine idée de la France". Mais, l’ancien lieutenant d’Alain Juppé se fait aussi le chantre d’une vision modernisatrice et agile très En marche. En somme, pour la première fois, le "Philippisme" prend forme. Hasard ou non, il est la fusion parfaite du macronisme et de la droite traditionnelle. De quoi se placer ses pions et se préparer pour "l’après", probablement la présidentielle de 2027.

Hasard ou non, le "Philippisme" est la fusion parfaite de la droite traditionnelle et du macronisme

Dans les entrailles de la "Philippie"

L’ouvrage accorde également une place de choix à la "Philippie", composée d’une bande d’amis soudés par des études (Sciences Po Paris, promo Marc Bloch de l’ENA) et des carrières politiques communes, notamment chez Areva ou à Matignon. Charles Hufnagel, Gilles Boyer, Benoît Ribadeau-Dumas et Mohamed Hamrouni forment le socle de cette bande prête à se mettre en ordre de marche dès le premier signal du patron.

Travail de style

Au-delà de l’aspect reportage, l’ouvrage se démarque par son style vivant. Chose rare dans la littérature politique française, l’auteur rédige à la première personne, mêle ses doutes et ses joies au travail d’investigation, un peu à la manière de la presse anglo-saxonne. Loin de sombrer dans l’égocentrisme, les anecdotes trouvent toute leur place dans le récit et s’entremêlent au sujet principal du livre. Ainsi, lorsque Tugdual Denis évoque "l’affaire Obono", c’est pour mieux introduire le premier contact. De même, son grand-père gradé durant la guerre d’Indochine et vétéran de Diên Biên Phu, fait l’objet d’une digression pour évoquer la vision du maire du Havre, sur l’Histoire et les enjeux mémoriels. Contrairement à son premier ouvrage La Vérité sur François Fillon, l’auteur se montre plus neutre, moins engagé. Ce qui, paradoxalement, rend service au "dirigeant politique le plus populaire de France". En lisant le livre, il se montrera sans doute satisfait ; les entretiens accordés à Tugdual Denis devraient l’aider à conforter sa position.

Lucas Jakubowicz

La vérité sur Édouard Philippe, de Tugdual Denis, Robert Laffont, 252 pages, 19 euros

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